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Les violences au sein du couple

 
UNE RÉALITÉ
En France, une femme meurt tous les 2 à 3 jours des suites de violences exercées au sein du couple. Depuis plusieurs années, ce chiffre est constant en dépit de l’attention portée à cette question par les pouvoirs publics et démontre qu’il ne faut pas fléchir en ce domaine mais, au contraire, renforcer nos actions. Depuis plus de dix ans, la préfecture de police a pris la mesure de ce problème et n’a de cesse de progresser dans son appréhension, dans l’accueil des victimes et dans les réponses qui leur sont faites.L’interviewC’est à Maryvonne Chapalain, commandant fonctionnel honoraire, aujourd’hui déléguée auprès du procureur de la République de Paris, que la préfecture de police doit d’avoir pris conscience de la réalité de ces violences, de leur nature très particulière, et de la spécificité des réponses à leur apporter. Précurseur en la matière, Maryvonne Chapalain revient pour PPrama sur son travail qui a, par la suite, aidé à élaborer une politique nationale. • A partir de quand la préfecture de police a-t-elle vraiment pris en considération les violences exercées au sein du couple ?Je travaillais à la préfecture de police depuis plusieurs années, et plus particulièrement à la police judiciaire, mais je n’avais jamais pris conscience de cette douloureuse réalité. En 1999, avec la réforme de la PP, je prends la tête de l’unité de prévention générale au sein du service de prévention, d’études et d’orientation anti-délinquance (SPEOAD). Je découvre alors le monde des victimes et plus particulièrement celui des victimes de violences exercées au sein du couple. Les partenaires que je rencontre à l’occasion de sous-commissions de lutte contre les violences faites aux femmes font état d’un problème majeur : il n’existe aucune statistique sur cette question. Or, ce qui n’est pas quantifié n’a pas ou peu de réalité. Les statistiques de la police et de la gendarmerie dépendent de l’état 4001, une « institution » difficile à modifier. J’ai alors le feu vert de ma hiérarchie pour lancer un test sur quelques arrondissements qui me remontent leurs chiffres de procédures et mains courantes réalisées dans ce domaine. Par ailleurs, j’étudie moi-même avec soin tous les faits concernant des homicides ou tentatives commis à Paris et la petite couronne. Les premières données étant concluantes, l ‘état 4001 se voit enrichir à partir de l’année 2000 d’un « tableau complémentaire » très détaillé, relatif aux violences dans le couple. Le retour est très positif, notamment auprès des associations. Concomitamment, les formations de référents « violences conjugales » se multiplient et permettent à nos partenaires d’avoir désormais des interlocuteurs dédiés dans tous les arrondissements.• Comment une analyse locale a-t-elle été étendue à l’ensemble du territoire ?

A Paris, les bases du chantier sont bien assises, l’édification se poursuit. En 2004, Nicole Ameline, ministre chargée de l’égalité professionnelle et de la parité, souhaite connaître les réalisations de la PP en la matière. Après un passage au sein de la salle « 17 police-secours », nous partons sur le terrain et nous rendons au commissariat du 19e arrondissement, très touché par le problème. J’expose alors le travail statistique que j’ai mené et en particulier celui sur les homicides. Mme Ameline se montre très intéressée et me propose d’ effectuer une recherche similaire, mais au niveau national. C’est ainsi que sera réalisée la 1ère étude du genre, concernant l’ensemble des homicides traités par la police et la gendarmerie nationales, sur les années 2003 et 2004. La création de ces statistiques a un effet révélateur, personne n’ayant jusque-là pris conscience que ces violences pouvaient entraîner des conséquences aussi graves. Cette mise en exergue a très certainement participé à l’implication accrue du législateur. En 2005, à mon arrivée à la délégation aux victimes au sein de la direction générale de la police nationale (DGPN), l’étude est rendue pérenne au niveau national et est, chaque année, très attendue par le milieu associatif.

• Aujourd’hui, que reste-t-il à faire ?

La formation qu’il faut, encore et toujours, développer. En effet, bien qu’il y ait une évolution positive de l’état d’esprit, policiers et gendarmes doivent encore améliorer leur connaissance de cette problématique si spécifique, afin d’obtenir la réponse la plus adaptée. Il faut également étendre les partenariats, en particulier avec les associations, et continuer d’intégrer au sein des services dédiés intervenants sociaux et psychologues.
A défaut de pouvoir éradiquer ces violences, il est cependant possible d’améliorer leur prise en compte et agir ainsi contre leur réitération.

Les chiffres

Tous types de violences confondus – physiques et psychologiques – 6 132 faits commis au sein du couple ont été constatés et traités par les services de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) au cours de l’année 2011, 4 995 pour le premier semestre 2012. Les procédures de « violences conjugales » enregistrées représentent 16% des faits de violences constatés par la DSPAP. En 2011, trois homicides et tentatives ont été recensés pour l’ensemble de l’agglomération, ce chiffre est déjà de 7 pour le premier semestre 2012.

Affaires

27 septembre, 19e arrondissement, une femme fait appel au « 17 police-secours » : son mari vient de la gifler et de lui pincer le sexe et les seins. Entendue dans les locaux du service de l’accueil et de l’investigation de proximité (SAIP) local, elle dénonce les violences que lui fait subir son époux depuis 2003 et évoque également des viols. Le 2e district de police judiciaire (2e DPJ) se voit charger de l’enquête. La victime explique que depuis son mariage, son conjoint, souffrant de problèmes d’alcool, la gifle et lui porte des coups de pied régulièrement, faits auxquels se sont ajoutées à partir de 2008 des violences sexuelles. L’homme est interpellé le jour même. Il reconnaît les coups et l’absence de consentement de sa femme lors de relations sexuelles. Mis en examen, il a été placé sous contrôle judiciaire.

10 septembre, 3e arrondissement, une femme dépose plainte au commissariat local pour des faits de viol et violences volontaires commis par son mari le 7 septembre. Le dossier est confié au 2e DPJ. Il apparaît qu’une précédente plainte pour des faits similaires a été enregistrée le 21 août dans le 18e arrondissement – la victime s’est vu délivrer quatre jours d’incapacité totale de travail – mais également que le mari a été précédemment condamné pour des faits de violences à l’encontre de son épouse à 2 mois d’emprisonnement avec sursis et 18 mois de mise à l’épreuve suite à un jugement rendu par le TGI de Paris en mai dernier. Interpellé le 11 septembre, il n’a reconnu que de légères violences. Il a été déféré au Parquet de Paris.

RÉPONSES
La PP...La question des violences au sein du couple reste l’une des préoccupations majeures de la préfecture de police qui mène la bataille sur plusieurs fronts et ce, en accord avec les objectifs fixés par le 3e plan interministériel triennal pour les années 2011-2013 piloté par le ministère des affaires sociales et de la santé qui fixe trois priorités : – la protection des victimes directes ou indirectes en développant l’accueil de jour, les lieux de visite familiale et les professionnels « référents violences ».
La DSPAP compte 304 référents « violences conjugales » ; ils accueillent les victimes, leur apportent un soutien privilégié et les informent des dispositifs associatifs et institutionnels existants. Il incombe également aux 15 psychologues et 15 intervenants sociaux de la DSPAP d’accueillir et prendre en charge les victimes et/ou leurs proches, mais aussi les auteurs d’infractions, dans un objectif de lutte contre la récidive et, enfin de former les policiers ;
– la prévention des violences par une meilleure formation des professionnels et la réalisation d’études permettant de quantifier le phénomène et d’évaluer l’efficacité des politiques publiques.
A Paris, le service de la prévention, de police administrative et de documentation (SPPAD) poursuit ses actions de formation au bénéfice des partenaires extérieurs que sont la Ville de Paris et le centre national de la fonction publique territoriale. L’objectif est de présenter de manière simple et pratique le parcours policier et judiciaire que devra emprunter toute victime de violences. Dans les autres départements les policiers des brigades territoriales de protection de la famille interviennent dans le cadre de la formation professionnelle d’infirmiers, puéricultrices, personnels du rectorat…
Alliant à la fois protection et prévention, le dispositif « Femmes en très grand danger », tout d’abord testé en 2009 en Seine-Saint-Denis a été pérennisé, et étendu à Paris en juillet dernier. Il consiste pour les femmes confrontées à un risque d’agression imminent d’un ex-conjoint, ex-compagnon, ex-pacs, à pouvoir alerter immédiatement 24h/24, 7j/7 un opérateur de Mondial assistance grâce à un téléphone portable connecté à un circuit spécifique, à qui il appartient, le cas échéant, de solliciter l’intervention des services de police ;la solidarité : les pouvoirs publics souhaitent, à l’aide des campagnes d’information sur les viols et agressions sexuelles (2011), les violences sexistes et sexuelles au travail (2012) et la prostitution (2013), impliquer et faire réagir l’ensemble de la société.… et ses partenairesLa PP ne peut agir seule dans le domaine des violences au sein du couple ; échanges avec des partenaires, actions conjointes ou complémentaires sont nécessaires. Ce travail partenarial est mené au quotidien par la DSPAP et la direction régionale de la police judiciaire mais aussi à travers leur participation aux structures départementales de lutte contre les violences au sein du couple. A Paris notamment, deux sous-commissions se réunissent, l’une pilotée par le parquet intitulée : « Suivi des plaintes et procédure judiciaire » dont les travaux portent essentiellement sur lesviolences dans le couple et leurs répercussions sur les enfants et l’autre, pilotée par la police judiciaire est relative à : « L’accueil des femmes victimes de violences sexuelles et procédure policière » .
             M. Gilles Aubry, sous-directeur de la PJ, responsable de cette dernière sous-commission l’évoque pour PPrama et notamment le rôle qu’elle tient en matière de viol « conjugal » En quoi consiste cette sous-commission ?La préfecture de police s’est engagée aux côtés de la préfecture de Paris dans la lutte contre les violences faites aux femmes par la mise en place de cette sous-commission consacrée à « L’accueil des femmes victimes de violences sexuelles et procédure policière », dont l’animation a été confiée au directeur de la police judiciaire en collaboration avec la direction départementale de la cohésion sociale de Paris et la mission départementale aux droits des femmes et à l’égalité.
Cette sous-commission est un lieu d’échanges essentiel entre institutionnels (policiers, magistrats), professionnels concernés (médecins, travailleurs sociaux) et associations (retrouvez l’ensemble des associations membres).
Elle s’est donnée pour tâche de retracer toutes les étapes de la procédure relative aux atteintes sexuelles dont les femmes sont victimes, d’en identifier les carences et les dysfonctionnements afin de proposer des solutions visant à améliorer le parcours et la prise en charge de ces victimes.

 

• Concrètement, quelles sont les actions de cette sous-commission ?

Plusieurs actions ont été engagées, notamment la rédaction et la diffusion d’un mémento à destination des enquêteurs présentant les bonnes pratiques en matière d’audition des victimes de violences sexuelles.
De même, les travaux de la sous-commission ont nourri le plan et le contenu d’un stage mis en place par la police judiciaire à partir de 2003, intitulé « accueil des femmes victimes de viols » qui a pour but d’améliorer l’accueil et l’écoute des victimes.
Cette formation, qui a déjà concerné plusieurs dizaines de fonctionnaires, fait appel à des intervenants spécialisés dans la prise en charge médicale, psychologique, sociale ainsi qu’à des personnes engagées dans la vie associative et à des professionnels de la police et de la justice.
Après la réalisation de deux colloques, l’un en 2003 « le viol, se mobiliser pour améliorer le parcours des victimes », l’autre en 2007 sur le thème de « la contrainte, élément constitutif du viol », l’attention des membres de la sous-commission s’est portée sur « le viol conjugal », thème du colloque qui s’est tenu le 4 octobre 2011.

• Qu’est-ce qui a conduit au choix de cette thématique du viol conjugal ?

Parmi les multiples expressions de la brutalité d’un conjoint, le viol reste l’infraction la plus cachée, la moins dénoncée.
Faute de soutien, craignant que leur parole ne soit pas crédible, les victimes sont contraintes à l’isolement et au silence.
L’objectif de ce colloque était de promouvoir une réflexion autour de cette forme de violence encore trop occultée qu’est le viol conjugal, de donner des repères, des éclairages et de proposer des pistes qui, demain, pourront être explorées et approfondies.
Pour contribuer à développer les capacités des professionnels et des structures concernés à prendre en charge les victimes, la réflexion s’est appuyée sur une pluralité d’approches et de compétences : policière, judiciaire, sociologique, psychologique, médicale, sociale, associative…
Ce colloque a atteint ses objectifs, grâce à la qualité des échanges qui ont eu lieu et des propositions qui ont été présentées.
Il nous invite à :
– faire émerger la réalité du phénomène du viol conjugal pour mieux le prendre en compte ;
– favoriser la parole des victimes, pour mieux les assister, les secourir et les prendre en charge sur le plan psychologique et sur le plan social ;
– engager la chaîne pénale toute entière dans la répression de ce type d’agression gravissime.

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