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Paris « VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE : LES CARRIÈRES… »

 Plongeons dans les profondeurs de la capitale. Rendez-vous avec le groupe d’intervention et de protection (GIP) de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) qui nous entraîne à travers les kilomètres de galeries des anciennes carrières sur lesquelles Paris s’est construit. Ne lâchez pas le fil, plus d’un s’est perdu…

Profondes de cinq à trente mètres, les anciennes carrièresde gypse et de calcaire s’étendent sous une grande partie de Paris. Suite à une exploitation industrielle qui débute dès le 12e siècle pour fournir une matière première indispensable à la construction de la ville, il faut attendre un effondrement rue d’Enfert en 1774 pour qu’en 1777, l’inspection générale des carrières (IGC) voie le jour. Deux cent trente six ans plus tard, l’IGC veille toujours pour prévenir les éboulements. Ce que le grand public sait moins, c’est que les « cataflics » de la préfecture de police contrôlent également ces galeries interdites au public par arrêté préfectoral depuis le 2 novembre 1955.

• Dans les entrailles de Paris

Se préparer pour la descente

 

 Non loin de la prison de la Santé, par une lourde trappe en béton posée sur le trottoir, cinq policiers du GIP s’apprêtent à descendre dans les entrailles de la capitale pour une balade de plusieurs heures afin de s’assurer que personne ne rôde ou ne s’est perdu dans ce dédale de près de deux cents kilomètres. Chaque semaine, des effectifs de ce groupe procèdent au même rituel, enfilant leur « bleu de travail », un casque de protection surmonté d’une lampe et une paire de bottes. Pour certains, on devine à la ceinture une petite boussole : « Même si on ne se perd pas », comme se plaisent à le rappeler les policiers aguerris, « on peut s’égarer ».

 

 

Un environnement à part

Dans cet univers fait d’humidité extrême et de poussière d’argile en perpétuelle suspension, le temps reste figé dans une obscurité impénétrable, insondable. Qu’il vente ou qu’il neige à la surface de la terre, il fait toujours 13 à 14 degrés dans ces dédales où règne une odeur tenace de moisissure. Dans l’effort du parcours, il est facile de suffoquer, surtout lorsque le plafond pousse le corps à se plier en quatre. Quand les marcheurs décident de faire une pause, au bout de quelques minutes, le froid pénètre rapidement les vêtements pour atteindre la peau tandis qu’une fine buée s’échappe des bouches. Au détour d’un boyau, les « cataflics » remarquent une fuite d’eau importante. De fines gouttelettes traversent « le ciel » (terme désignant les plafonds) déjà balafré de plusieurs fissures noires qui ressemblent à des pattes d’araignées. La petite pluie glacée translucide a vite fait de créer des rigoles sur le sol devenu vaseux et blanchâtre. Les ruisseaux finissent dans certains couloirs en mini-bassins. Pour ces spécialistes, ce parcours de santé est une simple formalité. Avoir de l’eau jusqu’au mollet  est une chose certes désagréable mais plutôt anodine comparée à certains endroits où l’on peut se retrouver immergé jusqu’au torse !

Toujours aux aguets

Les lumières des casques font glisser sur les murs de pierre calcaire les ombres fugaces des policiers qui connaissent presque chaque recoin, chaque passage, chaque puits de ce territoire obscur. Sylvie Gautron, brigadier chef, responsable de l’équipée, remarque au bout d’un couloir un nouveau chemin creusé par d’indécrottables passionnés en quête de salles vierges. Entourée de deux fontis (éboulements de pierres qui tombent du plafond et s’entassent sur le sol), une minuscule « chatière » de quelques centimètres dessine un nouveau passage que seul un contorsionniste ou un inconscient pourrait suivre en rampant comme un ver. Les vrais « cataphiles » peuvent venir plusieurs fois par semaine dans l’espoir de marquer l’histoire des carrières en découvrant un site condamné deux cents ans plus tôt par les descendants de Guillaumot.

Dangers…

Le week-end, ce sont plus de deux cents personnes, généralement lycéens et étudiants, qui tentent leur chance sous terre pour jouer aux explorateurs, ou tout simplement pour faire la fête. Mais dans ces couloirs aux multiples ramifications où chaque bruit semble prisonnier d’un nuage de coton, il est très facile de s’égarer. Gare aux novices qui n’emporteraient pas avec eux assez de lampes, ou partiraient avec un plan hasardeux téléchargé sur Internet. Ici, les téléphones portables ne marchent pas, ni d’ailleurs les radios administratives.

Chaque année, au-delà des amendes qui peuvent monter jusqu’à 60 euros pour sanctionner les fêtards pris sur le fait dans les galeries, les effectifs du GIP sortent cinq à six fois pour récupérer des égarés et des blessés plus ou moins graves que l’on localise grâce à un cri échappé d’une bouche d’aération. Mais tous les deux ans, le téléphone des policiers sonne pour signaler une disparition inquiétante : des parents ou des amis n’ont pas vu remonter leurs proches après une descente interdite. Dans ces cas extrêmes où l’on ignore tout du lieu où peuvent se trouver les égarés, c’est tout le groupe qui se mobilise pour récupérer les inconscients, soit une quarantaine de personnes. Fort heureusement, il n’y a que dans les légendes urbaines et dans les films d’horreur que ces virées finissent très mal. 

• L’histoire des « Carrières » en trois photos

L’inspection générale des carrières est créée par décret du roi Louis XVI en 1777, avec comme responsable, Charles Axel Guillaumot chargé de superviser la consolidation des vides souterrains. Il signera d’un « G » toutes les artères du réseau souterrain.

Gravure de 1867, montrant une descente de policiers dans les carrières d’Amérique. Le quartier d’Amérique est alors le 75e quartier administratif de Paris situé dans le 19e arrondissement.

Policiers devant le commissariat des carrières dans le XVIII arrondissement de Paris en 1925. En 1981, ERIC – l’équipe de recherche et d’intervention en carrières – (groupe carrières de la 2e division de la police judiciaire) surveille et réprime les activités « cataphiles ». A sa tête, le commandant de police Jean-Claude Saratte, devenu aujourd’hui une légende, aussi bien pour les cataflics que pour les cataphiles.

• Le saviez-vous ?

Le plus grand réseau des carrières (une centaine de kilomètres) est appelé grand réseau sud ou GRS et s’étend sous les 5e, 6e, 14e et 15e arrondissements ; le second, plus petit (25 kilomètres environ) s’étend sous le 13e arrondissement. D’autres réseaux existent, sous le 16e arrondissement, dans le 12e ainsi que de multiples réseaux et abris plus petits (par exemple les Carrières de Gravelle ou la carrière de la rue de Bassano). Une petite partie (environ 1,7 kilomètre), constitue l’ossuaire officiel ou musée des catacombes de Paris.

source-PPRAMA

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