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Névroses narcissiques en rose bonbon : bienvenue dans l’univers des « femmes poupées »

Récemment deux jeunes anglaises se sont rendues à leur bal de promo, elles aussi dans des boites de poupées Barbie. Source : Grazia

Lors de la dernière fashion week, l’ancienne escort-girl Zahia est apparue à la fin du défilé de sa collection de lingerie en Barbie dans sa boite : le kitsch un brin vulgaire de l’esthétique poupée Barbie est une stratégie marketing. Pour vendre des petites culottes en dentelles, pourquoi pas ? Récemment deux jeunes anglaises se sont rendues à leur bal de promo, elles aussi dans des boites de poupées Barbie. Ces deux jeunes filles éprouvent probablement quelques difficultés à quitter le monde de l’enfance et n’ont surtout pas peur du ridicule, à moins d’avoir beaucoup d’humour. Ces exemples, apparemment isolés, sont la partie visible d’un phénomène de société en pleine croissance : les « femmes poupées ». Explications.

Internet : le miroir des nouveaux Narcisse

Une nouvelle mode semble envahir la toile, les « femmes poupées ». Elles se mettent en scène sur leur blog personnel ou sur les réseaux sociaux. Pose de poupée, maquillage de poupée, vêtements de poupée, parfois conjugués à l’utilisation d’un logiciel de retouche d’image afin de « perfectionner » leur apparence à l’extrême.

“Ces dernières années ont été celles du surgissement de médias inattendus. Parmi eux : Facebook, autoproclamé « média de socialisation ». Une familiarisation avec ce réseau fait rapidement ressortir une autre caractéristique, moins reluisante que la socialisation : Facebook est surtout un média d’exhibition à laquelle la socialisation sert de masque.” Robert Redeker, revue Médias n°23 : Facebook, narcissisme et exhibitionnisme

Les « femmes poupées » sont-elles le résultat de la dérive narcissique engendrée par les blogs et les réseaux sociaux ? En virtualisant l’étalage de la vie privée, les frontières entre le virtuel et le réel s’effondrent. Ces jeunes filles, déjà lobotomisées par la presse féminine et les grands médias qui ne leur donnent comme modèles que des femmes elles aussi virtuelles (les photos d’actrices ou de mannequins sont toutes retouchées donc par définition impossibles à imiter), ne peuvent plus le faire que par la création d’un avatar sur les réseaux sociaux, voie royale de l’expression du narcissisme contemporain. De là à vouloir le matérialiser…

Névroses en rose bonbon à la sauce manga ou new age

KotaKoti, ou Dakota Rose (de son vrai nom, Dakota Ostrenga) est une jeune américaine de 16 ans. Crédit : DR

L’une des plus connues, Kota Koti, adolescente américaine, se métamorphose en poupée manga : agrandissement des yeux, teint de porcelaine, allongement et affinage de la silhouette. Elle poste des photos d’elle sur son blog qui connait un succès considérable, en particulier au Japon. Bien évidemment la demoiselle n’est pas ce qu’elle semble être : sa participation – au naturel – à une émission de télévision a horrifié ses fans et la fréquentation de son site internet s’est même effondrée jusqu’à ce qu’elle fasse retirer la vidéo de la toile. Dans le même esprit, une autre femme poupée est Wang Jiayun, jeune étudiante chinoise. Elle aussi se rêvait en poupée virtuelle et se mettait en scène sur son blog. Des internautes un peu curieux ayant réussi à dénicher des photos d’elle au naturel, les ont mises en ligne. La jeune fille l’a très mal vécu : dépression, tentative de suicide, fermeture du blog… Ces sites internet ne sont pas une simple « performance », mais sont le révélateur de véritables névroses chez ces jeunes femmes : désir de vivre dans un monde virtuel doux et mou, dans lequel tout est mignon et rose, névrose narcissique qui relève de la psychiatrie lourde puisqu’elles perdent le sens de la réalité et de leur propre image : quand elles y sont confrontées cela tourne au drame.

Le phénomène ne se limite pas aux adolescentes. Crédit : DR

L’on pourrait se dire que ces pertes de repères sont fréquentes chez des adolescentes ou des jeunes adultes. Mais le phénomène ne se limite pas aux adolescentes. Lorsque les « femmes poupées » avancent en âge, elles prennent conscience que l’image qu’elles projettent ne correspond pas au réel.

Or, comme pour les idéologies, il s’agit de faire cadrer le réel à l’idée qu’elles s’en font. À partir de là, le bistouri vient remplacer Photoshop.

Valeria Lukyanova, alias « Amatue » ou « Felomena ». Crédit : amatue21.com

La plus connue des « vieilles » poupées (elle a 21 ans) est Valeria Lukyanova, alias « Amatue » ou « Felomena ». Vaguement chanteuse à ses heures perdues, cette jeune femme ukrainienne tient elle aussi un blog où elle raconte sa vie de poupée new-age : Valeria veut ressembler à Barbie, mais intérieurement c’est une hippie. « Amatue est le nom de mon âme et Felomena était mon nom dans une des mes anciennes vies sur cette planète. Ces noms m’ont été révélés lors d’une séance de méditation. » Bien, bien, bien…

Pourquoi vouloir ressembler à une poupée dans ce cas ? Cela semble un peu contradictoire avec les idéaux du mysticisme méditatif. Valeria répond : « Je suis une perfectionniste, une idéaliste. J’ai toujours voulu atteindre la perfection. J’aime travailler ma spiritualité mais j’aime aussi travailler mon corps. Je pense que l’intérieur doit être en accord avec l’extérieur ». Soit.

Donc la perfection, c’est Barbie ?

Des siècles durant, les canons de la beauté féminine s’incarnaient dans des œuvres d’art (statuaire antique, Vénus botticellienne, Joconde…). À époque où les valeurs les plus élémentaires ont été inversées et travesties par l’ordre marchand, l’idéal de la beauté féminine et de la perfection est un jouet en plastique fabriqué à la chaine par des enfants du Tiers-Monde. Et le rêve des jeunes filles est de devenir un objet usiné en série. On vit décidément une époque formidable.

Spoutnik, pour Novopress


sourceNovopress



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