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France – Lituanie : pas de quoi en faire une histoire

« La France entre dans l’Histoire… » Depuis vendredi après-midi et jusqu’à hier, la formule est revenue en boucle sur toutes les radios et dans les journaux télévisés dont elle a fait l’ouverture. Qu’est-ce à dire, et quel Henri Guaino africain ou politiquement correct, reprenant de volée le fameux et controversé discours de Sarkozy à Dakar, osait-il suggérer par là-même que notre pays était resté jusqu’ici à l’écart de l’évolution générale de l’humanité et qu’il sortait seulement de son enclavement et de son immobilité ?

À mieux prêter l’oreille, il ne s’agissait pas de cela, mais de la victoire, déjà « historique », remportée par l’équipe de France contre l’équipe espagnole en demi-finale de la coupe d’Europe de basket, et de la finale, encore plus « historique », s’il est possible, qui l’opposait à l’équipe de basket lituanienne. Dès lors, où donner de la tête en cette soirée de dimanche, partagés que nous étions – que dis-je déchirés, que dis-je écartelés – entre l’événement historique de Ljubljana et le « choc des titans », puisque c’est ainsi que Le Parisien annonçait, en toute sobriété, non pas la déclaration de guerre des États-Unis à la Chine, mais le match de foot vedette de la Ligue 1, au Parc des Princes, entre l’AS Monaco et le PSG ?

Vous n’en avez pas assez, à la longue, vous n’êtes pas excédés, à la fin, par cette ridicule et envahissante inflation de l’actualité sportive et par l’incroyable inversion de la courbe des valeurs qu’elle traduit et qu’elle aggrave ? Trouvez-vous normal, vraiment, que des hommes et des organismes dont le métier est de nous informer donnent systématiquement la première place aux matches plus ou moins truqués qui opposent des millionnaires blasés et commentent avec des frémissements dans la voix la rencontre historique, forcément historique, entre Bécon-les-Bruyères et Trifouilly-les-Oies ? Puis annoncent d’une voix blasée et avec la plus grande indifférence qu’un attentat a fait cinquante-six morts à Bagdad, un autre une trentaine au Pakistan, que le carnage se poursuit à Nairobi, que le typhon a fait plus de cent cinquante victimes au Chili, que l’Allemagne reconduit Angela Merkel, que la Syrie a fourni la liste de ses armes chimiques, et autres broutilles qui n’auront pas l’honneur d’entrer dans l’Histoire telle qu’elle se parle aujourd’hui.

Pour moi, l’histoire de France, c’est la bataille de Bouvines et le désastre de Crécy, c’est le massacre de la Saint-Barthélemy, c’est l’édit de Nantes, c’est le siège de La Rochelle, c’est la révolte des Camisards, c’est Fontenoy, c’est la Déclaration des droits de l’homme, c’est la nuit du 4 août, c’est Valmy, c’est la campagne d’Italie et la campagne d’Égypte, c’est Austerlitz et Waterloo, ce sont les Trois et les Trente Glorieuses, c’est Sedan, c’est Verdun, c’est le Front populaire, c’est la débâcle de 1940, c’est la Libération, c’est le « Je vous ai compris » du général de Gaulle, ce sont les châteaux de la Loire et le palais de Versailles, ce sont les funérailles de Victor Hugo et les fastes de l’Exposition universelle, c’est la tour Eiffel et ce sont les congés payés. Ce n’est pas, j’en suis désolé, le « choc des titans » entre le « PSG de Falcao » dont je me contrefiche et « l’AS Monaco de Cavani » dont je me contrefous.

Je veux bien admettre, en me forçant un peu, que les exploits d’Ibrahimović, les dribbles de Zidane, les coups de main de Thierry Henry et les descentes de Franck Ribéry ne sont indignes ni d’intérêt ni de considération. Quant à Tony Parker, outre qu’il est très adroit, je ne doute pas que ce soit un charmant garçon. Qu’ils ne m’en veuillent pas de ne pas les mettre sur le même pied que Jeanne d’Arc, Sully, Richelieu, Colbert, Louis XIV, Molière, Voltaire, Mirabeau, Danton, Napoléon, Pasteur, Jean Jaurès ou Jean Moulin. L’histoire du basket et l’histoire de France ne me semblent pas devoir être mises dans le même panier.

 

Dominique Jamet
Journaliste et écrivain.
Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d’une vingtaine de romans et d’essais.

sourceBoulevard Voltaire

 

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