La numérotation des rois de France est un sujet surprenant, que les historiens ont très peu étudié.
Pendant des siècles les rois étaient nommés sans le numéro que nous leur connaissons aujourd’hui. Ce fut le cas pendant la plus grande partie du Moyen Age, et Saint Louis était ainsi pour ses contemporains le Roi Louis et non pas Louis IX. Et pourtant Louis XIV était connu de son vivant avec ce numéro XIV.
Que s’est il passé entre temps ? Qui a numéroté les rois de France ? Pourquoi ? Comment ?
Alors que nous célébrons le 300e anniversaire de la mort de Louis XIV, nous ne savons pas précisément d’où vient ce numéro XIV.
Michel-André Lévy s’est posé cette drôle de question et s’est lancé dans une véritable enquête pour reconstituer le processus de mise en place de ces numéros.
Il démontre ainsi que le système utilisé aujourd’hui est le fruit d’un long cheminement, d’hésitations, d’erreurs, et de choix, qu’il est passionnant d’essayer de comprendre.
Parfaitement abordable par un néophyte, le livre de Michel-André Lévy reprend les éléments nécessaires à une bonne compréhension du contexte historique pour évoquer des aspects méconnus de l’histoire de France, ainsi que la manière dont elle a été écrite.
A l’origine du livre : un oubli
Tout est parti de Charles le Gros, ce descendant de Charlemagne qui a régné entre 884 et 888. Parmi les rois qui l’ont précédé on trouve Charles II le Chauve, et parmi ceux qui l’ont suivi Charles III le Simple.
Charles le Gros n’est donc pas numéroté ! Pourquoi cet oubli ?
Pour mener son enquête, Michel-André Lévy utilise les très rares passages d’ouvrage d’historiens traitant de ce sujet, mais il s’appuie surtout sur des sources originales, les chroniques écrites par les historiens médiévaux, et qui constituent les premiers embryons de l’histoire de France.
Ainsi, il repère que dans la version latine de l’Histoire des premiers rois Francs de Grégoire de Tours, les rois ne sont pas numérotés. Pas plus que dans le Liber Historiae Francorum (livre de l’Histoire des Francs) composé au début du VIIIe siècle.
Les chroniques, lettres et actes officiels contenus dans Le Recueil des Historiens des Gaules et de la France, une compilation de sources historiques couvrant la période qui va des Gaulois jusqu’au milieu du XIVe siècle constituent une autre source essentielle pour la période médiévale. Ils permettent de savoir avec certitude comment les chroniqueurs du Moyen Age nommaient les rois, ceux qui régnaient à leur époque comme ceux des siècles précédents.
Des surnoms avant la numérotation
Pour mieux organiser le passé, la première solution mise en œuvre par les chroniqueurs fut de donner des surnoms aux rois homonymes. Certains ont même été attribués quelques siècles après la mort d’un roi.
C’est avec les Carolingiens qu’ ils apparaissent. C’est le cas pour Charlemagne, Carolus Magnus (Charles le Grand), dont le nom intègre le surnom. Ou bien pour son père Pépin le Bref, son grand-père Charles Martel, ainsi que pour ses descendants.
Mais les surnoms ne suffisent pas à distinguer entre eux les rois homonymes. Certains chroniqueurs avaient donc du mal à s’y retrouver s’agissant des règnes déjà anciens et de nombreuses confusions apparaissent d’ailleurs dans les chroniques puisque sans l’aide des numéros, il est facile de s’égarer dans les désordres des dynasties.
De plus cette solution trouve vite ses limites car on ne peut pas inventer à l’infini des surnoms différents et il est surtout difficile d’en donner un à un roi depuis longtemps disparu et dont on ne sait pas grand-chose. C’est pourquoi certains historiens se sont tournés vers la numérotation qui, en plus d’identifier les rois, permet de les ordonner.
Les premières traces de numéros attribués aux rois apparaissent au Xe siècle, mais cette pratique ne commence à véritablement s’organiser qu’à la fin du XIIIe siècle.
Charles V, premier roi numéroté de son vivant
Régnant pendant la Guerre de Cent Ans, Charles le Sage (pour nous Charles V) va assumer un rôle fondateur en étant le premier roi de France à porter son numéro de son vivant. Ainsi figure sur son tombeau l’inscription :
Ici git Charles le Quint, sage et éloquent, fils du roi Jean, qui régna seize ans, cinq mois et sept jours …
Le choix du numéro V de Charles le Sage est la clef du mystère pour Charles le Gros. S’il n’a pas de numéro, c’est qu’une fois Charles le Sage numéroté V il ne restait que quatre numéros à attribuer aux cinq Charles qui l’avaient précédé sur le trône.
Un siècle plus tard, Louis XI fixera la numérotation des Louis. Ce n’est pas anodin car il entérine ainsi la distinction entre les prénoms Clovis et Louis. Ce choix a une dimension politique importante et il aura longtemps fait l’objet de véritables manipulations visant à réécrire l’histoire des dynasties royales.
Comment choisissait-on le prénom du roi ?
Cette question est abordée à plusieurs reprises à l’occasion de ce parcours à travers l’histoire des dynasties du royaume.
On apprend par exemple que les Carolingiens avaient recours pour nommer leurs enfants mâles à un choix très limité de cinq prénoms : Carloman, Charles, Lothaire, Louis et Pépin. Puis le hasard a voulu que pendant plusieurs générations les enfants prénommés Pépin meurent tous prématurément tandis que tous les Louis atteignaient l’âge adulte (à une époque où ce n’était le cas que d’un enfant sur deux dans les familles de ce type).
C’est ainsi que le destin a fait de Louis un prénom royal et prestigieux pendant que le prénom Pépin disparaissait des arbres généalogiques.
- Saviez-vous qu’Henri III est le seul roi de France à avoir changé de prénom, pour prendre celui de son père au détriment d’Alexandre ?
- Saviez-vous que Charles X se serait prénommé Louis sans l’intervention d’une voyante ?
Vous vous êtes peut-être déjà demandé :
- Pour quelles raisons politiques Henri IV a-t-il prénommé son fils Louis ?
- Comment se fait-il qu’après celui-ci toute une série de Louis se succède ?
- Pourquoi Louis XVII, qui n’a jamais régné, est-il numéroté et donc « homologué » comme roi de France ?
Toutes les réponses sont dans le livre.
A propos du livre et de son auteur
Le livre : Louis I, II, III… XIV… L’étonnante histoire de la numérotation des rois de France, Éditions Jourdan, 268 pages, 2014.
Chapitre 1 : Les trois dynasties et les questions que pose la numérotation
Chapitre 2 : Écrire l’Histoire au Moyen Âge
Chapitre 3 : Apparition des surnoms
Chapitre 4 : Apparition des numéros
Chapitre 5 : Le numéro de Charles le Sage
Chapitre 6 : Toute la vérité sur Charles le Gros
Chapitre 7 : Importance de la continuité pour les historiens
Chapitre 8 : La numérotation des Louis et des Clovis
Chapitre 9 : Usage et signification du numéro
Chapitre 10 : Mise en place des systèmes de numéros
Chapitre 11 : Le nom et le numéro du roi au service de la politique
En annexes sont présentées toute une série d’arbres généalogiques ainsi que les notes et références d’usage.
L’auteur :
Passionné d’Histoire, Michel-André est ancien élève de l’Ecole Polytechnique.