Un crime peut être une oeuvre d’art, et un détective un artiste.
Énoncer des chiffres ne constitue pas un exercice des plus captivants, mais cela permet en revanche de mettre en perspective la célébrité et l’influence d’un auteur : près de 70 romans, quelque 20 pièces de théâtre, plus de 73 traductions vendues dans 153 pays, sans compter 20 films et plus de 100 téléfilms adaptés de cette œuvre… A part la Bible ou Shakespeare, qui dit mieux ?
Menant une enquête aussi serrée que passionnante, Camille Galic nous entraîne sur les traces d’Agatha Mary Clarissa Miller, née en 1890 dans la station balnéaire de Torquay. Celle qui n’est pas encore Agatha Christie, puisque, vous l’aurez deviné, il s’agit de la célèbre romancière, passe une enfance heureuse, dévorant Jules Verne et Gaston Leroux, jouant du piano, dansant et chantant, songeant alors à devenir cantatrice. Elle devient Mrs Christie en 1912, épousant le lieutenant Archibald Christie, son premier mari. Pendant la Grande Guerre, Mrs Christie est affectée au service pharmaceutique, où elle apprend à doser remèdes et poisons… comme certains des protagonistes de ses futurs ouvrages !
Après guerre, la situation financière du couple est difficile, mais les choses finissent par s’arranger, Archibald retrouvant une situation et Agatha publiant plusieurs romans (dont la mythique Mystérieuse Affaire de Styles, en 1920). Mais le colonel passe l’essentiel de son temps à pratiquer le golf, devenu pour lui une sorte de « religion »… et finit par annoncer à Agatha son intention de divorcer. Nous sommes en 1926, année où se produit la mystérieuse disparition de la romancière, qui durera plusieurs jours et qui ne sera jamais totalement élucidée…
Agatha Christie décide alors de prendre l’Orient-Express, direction la Mésopotamie (Ur) où elle rencontre l’archéologue Max Mallowan qu’elle épouse en 1930, une union qui lui permet un tour du monde en presque 80 pays !
C’est au fil de la vie personnelle de Mrs Christie, en biographe avisée, que Camille Galic poursuit l’investigation : les opinions réacs de Dame Christie, sa double nature de dilettantiste… besogneuse, son sens des intrigues et sa manière de concevoir ses romans (autour des ressorts de la cupidité, de l’obsession amoureuse, de la vengeance, mais également de la recherche ou de la préservation de la respectabilité), la « planète Poirot » , Miss Marple, les Beresford, l’influence de l’humoriste Wodehouse…
L’ensemble traité est particulièrement complet, intelligemment structuré et se révèle en outre très agréable à lire, grâce au style riche et fluide de Galic. Mais ce qui fait également le petit « plus » de cet ouvrage, c’est l’étude des convictions et sentiments d’Agatha Christie relative aux peuples, à leurs traits distinctifs, ainsi que sa fascination- répulsion pour le national-socialisme, jusqu’à présent peu évoqué par les adeptes christiens.
Camille Galic fustige enfin les adaptations de l’oeuvre d’Agatha Christie, souvent médiocres et travestissant allègrement la lettre et l’esprit de la reine du roman policier !
Lady Mallowan s’éteint en 1976, dans l’Oxfordshire, à l’âge de 85 ans. Onze ans plus tôt, elle déclarait : « Merci, mon Dieu, pour la bonne vie que j’aie reçue et tout l’amour qui m’a été donné ».
On saluera le remarquable travail de recherches documentaires accompli par Camille Galic, dont le formidable ouvrage est par ailleurs enrichi d’une belle iconographie et d’annexes fort utiles.
La référence biographique d’un écrivain exceptionnel et très attachant.
Arnaud Robert.
Camille Galic, Agatha Christie.
Éditions Pardès, collection « Qui suis-je ? »
128 p., 12 €.