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Lire:Entretien avec Richard Raczynski, auteur de Le manuscrit inachevé

« Si au premier coup d’œil le contenu paraît très formel
(lexique maçonnique),
on découvre de nombreuses positions sociétales développées
sous le couvert des définitions que je commente
en essayant de les replacer dans leur contexte historique »

Entretien avec Richard Raczynski, auteur de Le manuscrit inachevé, (éditions Dualpha)

(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)

Racontez-nous l’histoire de cet énigmatique manuscrit ?

C’est un document dont j’ai fait l’acquisition en 2013 auprès d’un libraire qui mentionnait : « Manuscrit anonyme rédigé vers 1855 de 93 pages in-8, au verso de papier comptable de La Revue de Paris de Laurent Pichat et Maxime Du Camp. Ce manuscrit débute à la lettre A (Abaddon, le Destructeur), et s’arrête à la lettre O (Ouvrier). »

Ce support à en-tête de La Revue de Paris fondée et débutée par Louis Désiré Véron (1798-1867) semble induire de facto, une relation avec les membres de son personnel. Une période de rédaction qui coïncide avec une longue séquence d’interdiction (1858-1894), consécutive à l’attentat d’Orsini.

Si au premier coup d’œil le contenu paraît très formel (lexique maçonnique), on découvre de nombreuses positions sociétales développées sous le couvert des définitions que je commente en essayant de les replacer dans leur contexte historique.

Je n’ai pas formellement identifié l’auteur, même si j’évoque de nombreuses pistes, ce qui explique d’avoir joint le fac-similé, qui permettra peut-être aux lecteurs d’identifier l’écriture.

Parlez-nous de ces positions ?

Tout d’abord la période (1850-1880) correspond à une franc-maçonnerie en questionnement entre les anciens et les nouveaux, portée par une pensée progressiste, animée par des libres-penseurs rationalistes du Grand Orient, engendrant le rejet de la référence au Grand Architecte de l’Univers, la suppression de l’affirmation dogmatique de « l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme » (en 1877).

Ce glossaire tient aussi du manifeste à charge contre les hauts grades et la grande maîtrise, anticipant les futurs statuts de la Grande Loge Symbolique Écossaise (1880) qui ne travaillait qu’aux trois premiers grades, prônant une maçonnerie égalitaire.

Ce discours vient se calquer sur l’évolution sociétale d’une France en pleine mutation (entre la IIe République, le Second Empire, et la IIIe République), ce qui permet au rédacteur d’évoquer en filigrane l’abolition de l’esclavage, la place de la femme, l’enseignement libre, la laïcité, le pluralisme politique, le socialisme, les aides aux défavorisés…

Ce « dictionnaire inachevé » s’inscrit dans une quête de l’idéal républicain.

Quels sont les personnages clefs cités dans ce manuscrit ?

Dans les idées progressistes : Voltaire, Auguste Comte, Émile Littré (un courrier à en-tête de La Rédaction de La Philosophie Positive est épinglé sur un feuillet du manuscrit), Pierre-Joseph Proudhon, Auguste Blanqui, Louis Ulbach, Victor Schoelcher.

On y découvre également, sur le terrain des idées, le rôle prépondérant joué par la charbonnerie française (où le critère d’admission se résumait à une vision Républicaine de l’avenir et un ardent activisme politique pouvant aller jusqu’à l’insurrection) travaillant au renversement de la monarchie avec les quatre sergents de la Rochelle et Lafayette.

Enfin, sur un plan purement maçonnique, citons Jean-Marie Caubet (1822-1891) dont un petit mémento est rattaché au manuscrit, curieusement recopié à la lettre dans Les Frères Trois Points de Léo Taxil, publié en 1885.

S’arrêter à la lettre O comme ouvrier, n’est-ce pas un ultime message subliminal de l’auteur ?

Effectivement, cette définition évoque une classe ouvrière mise en exergue dans cette lutte des classes, une perception partagée par deux grands contemporains du manuscrit : Victor Hugo avec son romantisme social « Les poètes sont les éducateurs du peuple » et les combats politiques d’un Émile Zola rejeté par l’Académie française à 25 reprises…

Votre conclusion ?

Je citerai les propos du philosophe positiviste Grégoire Wyrouboff, prononcés lors du convent du Grand Orient de 1876 : « Fraternité et Tolérance, Voila notre religion !

Nous n’en avons pas besoin d’autre parce que toutes les religions et toutes les philosophies disparaissent à l’état d’infiniment petit, devant ces moteurs universels du Progrès humain. »

Une vision particulièrement d’actualité.

Comment refermer cette parenthèse enchantée ?

En citant le grand Pierre Edernac pour qui l’illusion est  « un décalage du réel » ?

ran

 

Le manuscrit inachevé de Richard Raczynski, éditions Dualpha, collection « Insolite », dirigée par Philippe Randa, 446 pages, 35 euros.

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