Voir/Lire/Ecouter

Lire: Ceux de 14, de Maurice Genevoix.

 Magnifique hommage au sacrifice de la France d’avant

La guerre au ras des tranchées, par un écrivain de génie. Pour comprendre l’héroïsme ordinaire des fils de France.

Quel jour plus indiqué que le 11 novembre, pour relire l’un de nos plus grands écrivains, le merveilleux Maurice Genevoix (1890-1980). Nous nous sommes replongés dans Ceux de 14.

« Aux jours de la retraite, avant la Marne, on nous a laissé croire que nous allions embarquer à Bar-le-Duc pour nous rendre à Paris où des troubles menaçaient d’éclater. Des capitaines répétaient cette bourde parce qu’au moins elle expliquait nos étapes vers le sud, parce qu’elle leur était une clarté. Ils l’avaient accueillie aussitôt, ayant besoin de savoir et de croire.

Une fois, une seule, on nous a parlé : c’était le matin du 6 septembre. Le capitaine nous a réunis et, rapidement, en quelques mots, il a esquissé la situation des armées en présence et nous a exposé ce que nous allions faire. Rien de plus. Il ne nous a pas révélé quelle bataille décisive allait s’engager ce jour-là ; lui-même ne le savait pas. Et pourtant, ce fut assez : une lumière était en nous. On nous demandait quelque chose. On nous disait : « Voilà ce qu’il faut que vous fassiez ; nous comptons sur vous. » Et c’était bien.

Mais hier, quand nous avons quitté le bivouac près de la ferme, nous avons marché à l’inconnu, dans l’angoisse trouble de ce qui allait se passer. On nous lançait en pleine tourmente à une heure difficile entre toutes, l’ennemi avançant avec une résolution forcenée, nos troupes perdant du terrain, lâchant pied jusqu’à laisser libre la route de Verdun. Toute la science des états-majors ne pouvait plus rien là contre. Nous arrivions, nous luttions, nous tenions, nous étions bousculés à notre tour. Dès lors, nous étions tout. Dès lors, il était juste, il était raisonnable de nous dire combien lourde, mais combien exaltante était notre tâche. Nos soldats sont incapables de se résigner à ignorer. Lorsqu’on leur donne un ordre que rien n’explique à leur jugement, ils obéissent mais en grognant. Ils disent : « On se fout de nous. » Ils disent encore, en lançant leur sac sur leurs épaules, d’un mouvement hargneux : « Marche, esclave ! » Et ce n’est pas risible. Assurément, il y a des choses qu’il est utile de cacher aux combattants. Il y en a d’autres qu’on pourrait, qu’on devrait donc leur révéler. L’incertitude complète énerve leur courage. On les y laisse trop souvent, comme à plaisir. »

Le patriotisme naturel et tranquille

Cet extrait de Ceux de 14 (pages 148-149), précieuse réédition des livres de guerre de Maurice Genevoix aux Éditions Flammarion, est un peu à part. L’auteur magnifique de La Dernière Harde et d’Un jour verse rarement, au fil de son récit de guerre, dans la réflexion stratégique et la morale adressée aux états-majors. C’est une science moderne. Genevoix se contente du sublime. En 1914 – il alors 24 ans -, lorsqu’il est mobilisé, le sublime prend essentiellement les visages et les mots de nos paysans et de nos ouvriers plongés dans une guerre inédite, un enfer de violence et de cruauté. Ils regardent ce déchaînement qui les décime avec la distance et le réalisme des gens de notre terre.

– Enfin, mon lieutenant, c’est fini. J’vous ai r’trouvé, me v’là, j’suis chez moi; l’jour s’amène : j’suis content, lance un soldat.

Paroles et gestes de héros tranquilles, qui font simplement leur devoir. Les réseaux sociaux n’ont pas transformé ces frères d’armes solides et concrets en ludions numériques ivres du reflet de leur image dans les réseaux sociaux. Les hommes de Genevoix ne dissertent pas sur la politique, les causes de la guerre, la stratégie choisie, les raisons bonnes ou mauvaises, les luttes intestines et les inégalités. Ils combattent âprement, entre deux moments de répit pleins d’une humanité débordante. On a le patriotisme naturel et tranquille. Le soldat est râleur et fataliste, mais les cinq livres réunis dans Ceux de 14 (Sous Verdun, Nuits de guerre, Au seuil des guitounes, La Boue et Les Éparges, 860 pages hors notes) font parler les qualités et les défauts de ces héros discrets. On croise des Français plus vrais que nature, comme cette paysanne affligée, hurlante, douloureuse qui suscite soudain la pitié des soldats prêts à apprendre le pire. Ils découvrent vite l’objet de sa souffrance : des soldats lui ont bu six bouteilles de mauvais vin qu’ils lui avaient auparavant dûment réglées…

Morts pour… la France

Genevoix a chroniqué le quotidien de ces hommes (car le sacrifice ultime fut massivement exigé des hommes, c’était avant la parité…). Des hommes venus de la profondeur de nos terroirs, dont le nom s’efface sur nos monuments aux morts. Ceux de 14 entendront dans l’au-delà les péroraisons mondialistes politiciennes de Macron sur l’Europe et la paix, ce 11 novembre. Ils se tairont. Les vrais héros restent discrets. Ils laisseront aux phraseurs de notre siècle le soin de saccager le fruit de tant d’abnégation et de tant de sacrifices pour faire avancer leur calendrier idéologique, oubliant délibérément qu’ils sont, comme le rappellent les monuments de nos 36.000 communes, « morts pour la France ».

Source

Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Laisser un commentaire