Les bandes dessinées à vocation historique sont légion. Trop souvent, l’Histoire y est dépeinte telle que le scénariste la rêvait et non point telle qu’elle fut en vrai. L’idéologie y gagne souvent ; la véracité des faits et le bon sens, généralement un peu moins. Voilà manifestement un écueil évité par le scénariste Xavier Dorison avec Les Gorilles du Général, récit palpitant qui retrace le parcours hors du commun des quatre gardes du corps du général de Gaulle et brillamment mis en images par Julien Telo. D’ailleurs, Xavier Dorison, dans sa postface, admet avoir pris quelques libertés avec la réalité historique : « Pour ces Gorilles du Général, j’ai tenté de faire mienne la citation d’Alexandre Dumas : « On peut violer l’Histoire, à condition de lui faire de beaux enfants. » » On notera qu’en conclusion de ce premier épisode (deux autres sont déjà impatiemment attendus), une dizaine de pages pointent, en fin d’ouvrage, les « libertés » ainsi prises.
Sceptiques sur le gaullisme, mais gaullistes tout de même…
Nous sommes donc en 1959. Le Général a été rappelé aux affaires, pour cause de guerre d’Algérie ne disant pas encore son nom ; les médias n’évoquant alors que de simples « événements ». Le personnel politique, quant à lui, attend de l’homme du 18 juin qu’il garde ce département d’outre-Méditerranée dans le giron français. Sa vision, tel qu’on le saura plus tard, est tout autre. Est-il besoin de préciser que ses quatre gardes du corps ne se posent pas la question : ils ne sont pas là pour ça. Authentiques résistants, ils ont grandi dans une sorte de mystique gaullienne et celui qu’ils ont la charge de protéger est plus qu’un compagnon d’armes, presque un père.
L’ennemi du jour, c’est le FLN, lui aussi persuadé que le général de Gaulle veut l’Algérie française. Celui de demain sera l’OAS et ses partisans qui, eux aussi, ont cru aux promesses faites par le fondateur de la Cinquième République. Quoi qu’il en soit, rien ne les émeut. Même quand il a tort, le Général a toujours raison. À la fin de ce premier tome, on sent bien que les positions élyséennes sont en train d’évoluer sur la question et que nombre de gaullistes historiques commencent à comprendre ce qui se trame dans leur dos.
L’ombre tutélaire de Raymond Sasia…
Le héros de cette trilogie n’est autre que Max Milan, résistant héroïque à seize ans, quand il participe à la libération de Paris, ce qui lui vaut la croix de guerre sur son lit d’hôpital, remise par le général Chaban-Delmas en personne. Dans la vraie vie, il s’agit en fait de Raymond Sasia, un personnage haut en couleur. À l’occasion de la sortie de ses mémoires, Mousquetaire du Général, on apprend qu’en plus de ses brillants états de service, il fait merveille lors d’un stage effectué au FBI américain, devenant alors le meilleur tireur, en matière de vitesse et de précision, coiffant au poteau les cow-boys locaux. Un exploit qui lui vaut, comme cadeau, un pistolet-mitrailleur de marque Thompson ayant appartenu à Al Capone, et personnellement offert en main propre par Edgar Hoover, patron du FI en question. C’est donc à ce titre qu’il est chargé de réorganiser la protection rapprochée du général de Gaulle. La mission de son équipe ? La voilà résumée dans son livre de souvenirs : « Ils avaient fait le serment de se coucher sur une grenade ou de s’interposer au cas où une balle devait atteindre le Général. Tous prêts, moi le premier, à donner nos vies pour sauver la sienne. »
Se faire tuer, oui. Mais pas pour n’importe qui…
En effet, il y a garde du corps et garde du corps. Certains, la plupart, sont au prix fort mis à disposition par des agences spécialisées. Pour eux, il s’agit d’un travail comme un autre. Pour les gorilles de Raymond Sasia, le mot de « sacerdoce » serait plus adéquat. Car cette dimension sacrificielle exige une dévotion totale vis-à-vis de la personne à protéger. Des hommes politiques susceptibles de provoquer un tel don de sa personne ne sont pas si courants. Qui se ferait tuer pour François Hollande ou Emmanuel Macron ? À l’inverse, qui a suscité autant de haine dans la population que le général de Gaulle ? À part Jean-Marie Le Pen, on ne voit guère. D’ailleurs, le point commun entre les deux est que le nombre de leurs partisans équivalait largement celui de leurs ennemis.
Le Bourreau de Béthune, protecteur de Jean-Marie Le Pen…
Celui qui, des décennies durant, veille sur le Menhir n’était pas tout à fait un inconnu. Robert Moreau, dit « Freddy » Moreau, alias le fameux Bourreau de Béthune, auquel on doit les grandes heures du catch français. Pour lui, il se serait fait tuer et, hormis le fait qu’ils partageaient les mêmes idées, avant que Freddy ne veille sur Jean-Marie, c’est ce dernier qui lui sauve la vie, un soir où celui qui n’est pas encore président du Front national va l’applaudir à L’Élysée-Montmartre, alors qu’il affronte L’Ange blanc, autre légende du catch. Freddy ayant triomphé, Jean-Marie Le Pen se précipite pour aller le féliciter. Mais le soigneur lui affirme que le champion est en train de se reposer. Impatient comme à son habitude, le pétulant Breton n’écoute rien et s’en va rejoindre son ami, lequel est inanimé. « Si Le Pen n’était pas intervenu immédiatement et n’avait pas prévenu les secours, il est fort probable que Freddy serait mort des suites d’un traumatisme crânien et d’une hémorragie interne, dans l’indifférence de son soigneur et de ceux qui considèrent trop facilement que le catch relève du simple théâtre. » De qui sont ces phrases ? De Thierry Légier, le successeur du Bourreau de Béthune, dans son livre, Mission Le Pen.
De Raymond Sasia à Thierry Légier…
En préface de cet ouvrage, ces quelques lignes signées du même Raymond Sasia : « Comme moi, Thierry Légier est ancien militaire-parachutiste et a servi dans les corps d’élite de l’armée française. J’ai reconnu chez lui les qualités qui font un bon garde du corps, capable de faire face à des situations d’urgence. Grâce à ses qualités et en particulier à son sang-froid, ses vingt ans de service aux côtés de Jean-Marie Le Pen sont un exemple de protection discrète et bien assurée qui font honneur à la profession de garde du corps. » Depuis, Thierry Légier a assuré la protection personnelle d’une certaine Marine Le Pen et, aujourd’hui, d’un certain Jordan Bardella.
Ces sentiments d’exception, cette vocation pas tout à fait comme les autres consistant à être en permanence prêt au sacrifice suprême pour ceux qu’on estime être au-dessus de sa simple personne sont parfaitement résumés dans cette bande dessinée survolant de très haut les facilités du genre. C’est assez rare pour ne pas être noté.