Critique :
Comme le dit si bien un de nos lecteurs, « Star Wars, c’est plus attendu que l’avènement du pape lui-même ». Certes, et c’est en cela qu’il faut prendre du recul pour comprendre ce qu’implique le pacte de Disney lorsqu’il s’agit de prendre en charge la saga la plus célèbre de l’Histoire du cinéma. Plus que d’un film, on parle ici d’un mythe, véhiculant des références communes, des parodies, des punchlines, des livres, des jeux vidéos, beaucoup de produits dérivés… Un univers-monde envahissant l’espace public en cette fin d’année, soulignant à chaque geste marketing l’attente que l’objet suscite.
Si on se voulait manichéens, voire de mauvaise foi, on arguerait que le volet commercial est le côté obscur de la partie créative. L’un ne va pas sans l’autre dans le blockbuster (tout comme dans le ciné indé), surtout confrontés à l’ombre d’un totem intouchable de la culture populaire dont tout le monde s’approprie les références. Regarder J.J Abrams se débattre avec ça, relève alors pour le fan aguerri, le cinéphile ou le spectateur moins assidu, d’un regard à la fois curieux et circonspect. Personnellement, nous ne voudrions pas être à sa place et pourtant l’attente est énorme. Le réalisateur ne s’en sort pas trop mal, il faut dire que visuellement c’est beau, très maîtrisé et que la 3D assez peu envahissante souligne très bien les reliefs d’une scénographie originellement pensée en 2D. Mais le créateur de Lost (définitivement plus inspiré dans sa série phare que dans ses films) est très vite rappelé à l’ordre par la tentation d’un côté obscur qui, à l’écran, trouve bien racine dans la partie créative du projet.
Redécouvrir un univers familier et dépoussiéré par une technique irréprochable fait clairement plaisir, mais cela ne suffit pas à chasser le vieux démon d’Hollywood passé une heure de métrage : la peur du vide. Le trailer annonçait pourtant un film contenu et énigmatique, il n’en est rien. La suite n’a rien de honteux mais c’est bien l’habillage de la licence qui suscite l’intérêt des scènes d’action, car celles-ci se résument à des enchaînements pyrotechniques sans grand intérêt où le background pourtant si vaste de l’univers est passé en arrière-plan, presque refoulé. Abrams invoque ses guest stars comme des jokers, des atouts qui viennent couper la monotonie d’un jeu scénaristique assez maigrelet, peu inspiré, dépossédé de sa vision politique et de ses enjeux philosophiques.
En tant que fan, il n’ose pas aborder de front la mythologie Star Wars, peut-être par peur de ne pas pouvoir dompter la bête. De ce fait, il récite assez sagement les leçons de son manuel, bridé par un cahier des charges dûment rempli (ce qui n’était pas évident), pensant donner au public ce qu’il réclame et oubliant que l’audace reste le nerf de la guerre ; chose qu’avait bien compris George Lucas à l’origine et qu’avait brillamment poursuivi feu Irvin Kershner. Car dans ce nouvel opus, quasiment tout est prévisible, des révélations aux références, de l’apparition des anciens à l’issue des combats, contraints par des mécanismes narratifs dont la banalité freine l’ampleur d’un spectacle agréable mais vain. Abrams prend un plaisir communicatif à jouer le jeu, et court après l’ombre wagnérienne de L’Empire contre-attaque à défaut d’en avoir l’étoffe.
Finalement, Le Réveil de la Force ne prend pas assez de risques et sent un peu le réchauffé, mixant les vieilles recettes à la linéarité des grosses productions hollywoodiennes. Ce qu’il manque vraiment dans cette première partie, c’est une résonance, car on a la désagréable impression de voir un remake plutôt qu’une suite, les enjeux étant les mêmes, l’étoile noire ayant simplement pris du volume et le bad guy singeant son illustre modèle. Un méchant qui parle à la dépouille de son grand-père dans une scène malheureusement expédiée, alors même qu’elle appelait un traitement schizophrénique ingénieux à la Gollum. De même, les interventions des héros semblent programmées, à l’image de Rey découvrant son potentiel de jedi en bandant mollement sa volonté dans une scène assez pathétique. A chaque problème sa solution, évinçant les inquiétudes d’un revers de la main, la clé de l’énigme toujours à portée de sabre. Le décor est bien là mais l’esprit est ailleurs, stagnant peut-être dans la bordure extérieure de la galaxie…
Ce dernier Star Wars n’est pas une déception mais il n’est pas non plus une surprise. Asphyxié par ses propres exigences, il tente de relancer une saga qui aurait mérité un traitement plus précis. Quant à savoir si cela vaut la peine de faire la queue pendant deux heures, disons que l’expérience collective mérite le détour, le plaisir enfantin qui se dégage d’une telle séance n’ayant pas d’égal, chaque surprise étant reçue par des applaudissements enthousiastes. L’ennui, c’est que J.J. Abrams semble appliquer la même formule film après film : le rythme avant tout, coûte que coûte. Et il est vrai que l’on ne s’ennuie pas devant Le Réveil de la force, ses soixante premières minutes s’avérant même réjouissantes à force de dynamisme et de drôlerie. Dans cette première partie, on se surprend même à retrouver des sensation héritées du cinéma de Miyazaki, l’exploration d’une ruine par un personnage masqué rappelant l’héroïne de Nausicaä, tandis que l’image d’une carcasse posée au sol évoque, grâce au cadrage choisi, le robot ensommeillé du Château dans le ciel.
Mais le film peine à rafistoler les manques voyants d’une charpente scénaristique pourtant capitale à la réussite du projet. Le dernier Star Wars semble frappé du même mal, avec de nouveaux symptômes : si le film ne sait pas vraiment ce qu’il veut faire, il le fera très vite pour noyer le poisson. À quoi bon masquer le personnage principal si c’est pour révéler aussi vite ses traits humains, lui ôtant tout aura de mystère pour le reste de l’aventure ? Pourquoi lui faire piquer des crises de colère dignes d’un gamin de CP, malgré des effets comiques réussis ? Et surtout, comment diable le personnage d’Oscar Isaac est-il entré en possession de la fameuse carte, ce MacGuffin qui fait courir l’ensemble du casting (ce mystère sera peut-être révélé dans les épisodes suivants) ? Une ellipse commode pour un enjeu assez maigre menant à un climax enneigé quelconque, et conclu de façon un peu bâtarde. Il faut dire qu’après avoir vu un personnage soit disant badass se faire humilier au sabre par deux adversaires qui ont découvert le leur il y a tout juste trois quart d’heure, l’affrontement relève un peu de la mauvaise blague.
Comme souvent cette année, on se retrouve donc à s’accrocher aux meilleurs moment du film pour ne pas décrocher du reste. Spectacle plaisant mais vain sitôt passée sa formidable première heure, Star Wars : Le Réveil de la force est en revanche parti pour prendre de l’âge avec dignité, l’équilibre entre décors réels et CGI, cher à J.J. Abrams, fonctionnant parfaitement. Comprenons-nous bien, lui et Disney n’ont pas livré un résultat indigne, loin s’en faut, mais ils accomplissent un travail de révérence et se retrouvent à faire du sur-place. Car après tout, un blockbuster choral où des personnages courent tous après un objet baladé aux quatre coins du script, rappelle l’enjeu scénaristique des Avengers, Mission : Impossible 3 ou encore Les Gardiens de la galaxie. Abrams et Mickey étaient peut-être fait pour se rencontrer depuis longtemps, on regrette juste qu’ils n’aient pas réalisé le potentiel dramatique d’un tel univers.
C’est finalement John Williams qui se distingue, l’homme injectant un vrai souffle à ce space opera en forme de longue introduction aux prochains épisodes. Reste le jeu convaincant de l’excellente Daisy Ridley, cette quasi inconnue ajoutant un peu plus de charme à ce spectacle dont l’implication va decrescendo malgré la présence du génial BB8, parfait successeur de R2D2.
TO BE CONTINUED..
Par Jordan More -Chevalier@JMC_LeKinorama