Les raisons du déclin des abeilles sont nombreuses. A commencer par un modèle agricole dominant de monoculture et l’utilisation massive de pesticides.
Mais les abeilles ont un ennemi bien plus petit, mais virulent : le varroa, un acarien d’un millimètre capable de décimer des ruches entières.
Des abeilles génétiquement modifiées
Varroa sur une larve (pupe) d’abeille, dans une ruche
Apparu en France dans les années 80, le varroa a multiplié par six la mortalité des abeilles. Avec Remembee, Monsanto entend lutter contre les virus transmis par le parasite. Une petite révolution dans le milieu apicole. Lorsque la multinationale rachète Beeologics en 2011, les écologistes jugent peu crédibles les arguments avancés par la firme. A savoir que la recherche apicole, une niche pourtant essentielle pour l’agriculture, “ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite”. Les détracteurs du géant de la biotechnologie s’inquiètent, persuadés que le dessein secret de Monsanto est de tuer dans l’œuf les recherches de Beeologics.
Mais la filiale continue ses travaux et s’intéresse à l’ARN des abeilles, un “cousin” de l’ADN. Pour faire simple, c’est le messager du gène qui contrôle la fabrication d’une protéine. Beeologics a ainsi mis au point une solution sucrée qui contient des molécules d’ARN protégeant les abeilles contre les virus transmis par le varroa, en “empêchant” la fabrication des protéines sensibles au parasite.
Quels risques pour l’homme ?
Selon Beeologics, Remembee ne laisse aucune trace dans le miel produit par les abeilles traitées. Mais les experts sont divisés sur l’utilisation de l’ARN, car la molécule utilisée pourrait passer de l’organisme de l’insecte au produit qu’il fabrique, et que nous consommons. “Les scientifiques sont obligés d’utiliser un type d’ARN très résistant pour pouvoir le travailler : l’ARN interférent. Or, celui-ci ne se dégrade pas dans l’organisme de l’hyménoptère“, explique à francetv info Christoph Then, expert en biotechnologie et longtemps engagé auprès de Greenpeace en Allemagne.
Mais un scientifique du laboratoire Biologie et protection de l’abeille de l’Institut national de la recherche agronomique (Avignon) ne partage pas son point de vue. “Ces molécules d’ARN sont très spécifiques. Elles ciblent une partie de l’ADN seulement et n’entraînent pas de modification physiologique de l’insecte“, affirme-t-il à francetv info. Un argument que balaye Christoph Then : “L’ARN interférent est une technologie très jeune. Théoriquement, il s’agit d’une molécule aux visées spécifiques. Théoriquement. Mais nous n’avons que très peu de recul dessus.”
“Monsanto veut se refaire une image auprès des apiculteurs”
Pour Cédric Gervet, chargé de communication à Greenpeace, Remembee est “une solution réductrice pour un problème beaucoup plus complexe“. Le varroa infeste la totalité des ruches françaises “et pourtant, les abeilles de ville sont en meilleure forme que leurs sœurs de la campagne“, souligne Olivier Belval, président de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). Les hyménoptères peuvent résister au varroa tant qu’elles ne sont pas fragilisées par les pesticides et le manque de nourriture engendré par la monoculture. Le fond du problème serait donc le modèle agricole prôné par Monsanto, Bayer et Syngeta, les trois grands groupes du secteur de l’agrotechnologie. Contacté par francetv info, Marco Contiero, directeur des politiques agricoles à Greenpeace Europe, se désole : “Débarquer avec une solution miracle sans prendre en compte les facteurs environnementaux, ça n’a absolument aucun sens. Il faut remettre en cause le système global.”
Olivier Belval est catégorique : “Monsanto essaye de se refaire une image auprès des apiculteurs“, assène-t-il. L’Unaf et les associations écologistes s’accordent à dire que le groupe, principal producteur de semences génétiquement modifiées, s’applique à redorer son image en pratiquant le “greenwashing”.
Beeologics attend l’autorisation de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux pour pouvoir commercialiser Remembee. Le produit devra ensuite être approuvé par la Commission européenne avant d’arriver dans nos ruches, ce qui devrait prendre un certain temps. Mais Olivier Belval n’en est pas si sûr. “Les abeilles voyagent. On a retrouvé des essaims sur des cargos. Donc des abeilles traitées pourraient très bien arriver en Europe avant que Remembee y soit autorisé.”
Jean Pierinot
Source : Metamag. via Novopresinfo
Crédit photo en une : Cyril Gros, via Flickr, (cc). Crédit photo dans le texte : Agricultural Research Service, domaine public.