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Tribune libre & RIP : Beau, oui, comme Bowie !

David Bowie aura donné quelques sueurs froides à la bien-pensance.

 

 « Beau, oui, comme Bowie », titre d’une ritournelle jadis fredonnée par Isabelle Adjani et composée par Serge Gainsbourg.

David Bowie, donc, était beau, au physique comme au moral : Jérôme Soligny, son « ami français », journaliste à Rock & Folk, avait coutume d’assurer qu’en plus de trente ans de métier, il n’avait jamais eu affaire à un homme aussi affable, courtois, poli, drôle, cultivé, humble et supérieurement intelligent. Bref, l’homme avait du cœur et une âme assez bien forgée pour avoir survécu, avec grâce, à près de quarante ans de carrière.

Il faut d’abord savoir qu’il est issu d’une famille où tout le monde est à moitié cintré. Terry, son demi-frère, de dix ans son aîné, qui lui apprend à jouer de son premier instrument, le saxophone, va d’asiles en hôpitaux psychiatriques, avant de se suicider. Bowie ne s’en remet jamais tout à fait. D’où, peut-être, cette incertitude existentielle l’ayant tant de fois poussé à une perpétuelle remise en cause artistique : il y a ceux qui suivent les modes et les autres, qui les font. David Bowie était de ces derniers.

Ainsi, et le plus souvent avant tout le monde, a-t-il lancé le glam rock, la soul funk sophistiquée, la reprise glamoureuse des grands standards américains, la pop synthétique, le rock industriel mêlé de mélodies atonales, la dance music, la house music, tout en révolutionnant l’art du vidéoclip avec « Ashes To Ashes ». Blackstar, son album désormais posthume, tente, lui, l’improbable et pourtant réussie jointure, entre chœurs grégoriens et free jazz. Dernière pirouette…

Dans le même temps, il fait de son art un art complet. Ayant appris celui du mime Lindsey Kemp, il tâte du théâtre, triomphe avec Elephant Man (sans maquillage, SVP), du cinéma, remarquables Les Prédateurs de Tony Scott et Furyo de Nagisa Ōshima et le politiquement très tordu Absolute Beginners de Julien Temple, comédie musicale ayant malheureusement quitté l’affiche avant même que la colle ne soit sèche, où l’on se demande qui sont les véritables héros de l’entre-deux-guerres, les fascistes anglais ou leurs homologues antifascistes de la même perfide Albion…

C’est vrai qu’en la matière, David Bowie aura donné quelques sueurs froides à la bien-pensance.

Dans son essai, aussi remarquable qu’érudit (David Bowie, Bernard Giovanangeli éditeur), Pierre Robin rappelle qu’en 1976 : « Débarquant à Victoria Station d’un train spécial, affrété à son unique attention, il grimpe, chemise noire et cheveux blonds calamistrés, dans une rutilante Mercedes et gratifie alors les fans et journalistes présents d’un salut bras tendu. » À sa décharge, il rentre d’Allemagne, là où il est en train d’enregistrer ce qu’il convient de nommer sa « trilogie berlinoise » aux accents pas tout à fait hippies. Dans la foulée, et lors d’une conférence de presse demeurée dans les annales, il récidive, se proposant comme « Premier ministre dictateur », appelant de ses vœux un « gouvernement d’extrême droite, seul capable de restaurer un vrai libéralisme », tout en assurant qu’il est « plus proche du communisme ». Et pour tout arranger, ce codicille : « Hitler, à sa manière, a été une rock star, largement aussi bonne que Mick Jagger… »

Ambiance. Dans le même temps, Eric Clapton soutient publiquement Enoch Powell (le Le Pen anglais de l’époque), alertant son public, lors d’un concert demeuré fameux, sur son Angleterre en passe d’être submergée par l’immigration. Il n’en faut pas plus pour que se crée une sorte de SOS Racisme de l’époque, Rock Against Racism, mouvement ayant depuis longtemps disparu corps et biens. David et Eric mettront ces propos sur le compte de la cocaïne pour l’un, de l’alcool pour l’autre. Il n’empêche que leurs dénégations n’ont pas été des plus vigoureuses.

Il n’empêche, encore, que les plus grands bluesmen noirs américains n’en finissent plus de remercier Clapton pour avoir fait connaître leur musique, leur permettant ainsi de couler de vieux jours à l’abri du besoin, tandis que Bowie épouse Iman, une sublime princesse somalienne. Racisme, somme toute, des plus relatifs, semble-t-il, même si la musique du défunt s’est toujours voulue éminemment européenne, au contraire du Clapton en question, imprégné du blues de son adolescence.

Pour le reste, David Bowie, empiétant sur son peu de temps libre, passe le sien à venir en aide aux autres. Ian Hunter, de Mott the Hoople, auquel il offre « All the Young Dudes », Lou Reed, dont il produit l’unique succès commercial et son meilleur album, Transformer ; sans oublier, bien sûr, l’immense Iggy Pop dont il ressuscite la carrière.

David Bowie a rendu l’âme à Dieu, en compagnie de sa famille et de ses proches. Et, paradoxe, ce sont ses innombrables amis qui se sentent bien seuls aujourd’hui. Beau comme Bowie ? Oui, à l’évidence…

nc

 

 

 

Nicolas Gauthier

Journaliste écrivain

source Boulevard Voltaire

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