— Que dois-je faire, ensuite, de la feuille d’émargement ?
— Une fois le courrier parti, vous la jetez ! Que voulez-vous en faire ?J’aurais dû me taire, ne rien répondre. C’est sorti tout seul :
— Pour résumer, votre bout de papier ne sert à rien…
Le visage de Mme Baducq était déformé par la contrariété. Elle ne voulait plus m’entendre et me le signifia :
— N’y mettez pas de la mauvaise volonté ! Le but est que le travail soit mieux organisé !Mieux organisé ? C’est une blague ? Entre le courrier à taper et les multiples étapes de validation, on perdait un temps précieux. Pour dire exactement la même chose, la rédaction et l’envoi d’un courriel ne prendraient que cinq minutes à peine. Mais un courriel est sans doute trop discret. L’idée forte de Mme Baducq est simple : donner l’impression à tous de travailler, qu’importe la stupidité des procédures mises en place.
J’ai regagné mon bureau en faisant attention de ne pas me marcher sur les mains tant mes bras pendaient de désespoir. Je me préparais à attendre, pendant de longues heures, le passage de l’élue qui signerait, in fine, mon précieux courrier. C’est seulement le lendemain que Mme de Acuerdos m’a appelé. Après avoir mûrement réfléchi à la question, elle ne souhaitait plus que le courrier parte. Elle préférait rencontrer le destinataire afin de lui faire part, de vive voix, des points détaillés dans la correspondance. Tout ça pour ça, comme dirait Claude Lelouch.
De dépit, j’ai passé quatre heures à jouer sur Internet et à regarder des vidéos sur YouTube. Ça m’a détendu.
Si je devais tirer une morale de cette histoire, elle serait simple. Les gens râlent sur les fonctionnaires et je peux les comprendre : je fais de même. Il faut toutefois admettre que la plupart n’y sont pas pour grand-chose. Ce ne sont que des employés exploités par des élus payés deux à trois fois plus qu’eux et qui travaillent dix fois moins. Ce qui implique, me concernant, de terribles interrogations : dois-je continuer à travailler ou suivre la meute et passer mon temps, comme tout fonctionnaire qui se respecte, à me tourner les pouces ? Dois-je passer mes journées à harceler mes subalternes afin de faire valoir ma supériorité hiérarchique ? Si j’estime qu’une tâche est bien faite, dois-je pour autant la faire recommencer afin qu’elle corresponde parfaitement à mes intentions ? Mériterais-je ainsi pleinement mon salaire ?
J’ai bien peur de connaître toutes les réponses…
Prix 17,95€
Jérôme Morin
Pour avoir publié ce livre dans une première édition à compte d’auteur, Jérôme Morin, né en 1973 à Champigny-sur-Marne, a été mis à pied pendant 18 mois et mis en examen pour diffamation publique. Il s’apprête à faire son grand retour au sein de sa chère mairie…
source //Atlantico