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Lire/BD la jeunesse se souvient ! Guy Sager (1927-2022)

Guy Sajer et non Guy Mouminoux, vrai nom de ce fils alsacien d’un Français et d’une Allemande, puisque c’est de ce nom de plume qu’il signa, en 1967, son récit autobiographique Le Soldat oublié qui le fit entrer dans la compagnie d’élite des grands témoignages sur la deuxième guerre mondiale, côté allemand : on sait qu’il y raconta avec réalisme et sensibilité, son recrutement puis son expérience au sein de la division Grossdeutschland, unité d’élite de la Wehrmacht. Bref à 16 ans il fut jeté dans l’enfer non métaphorique du Front de l’Est, participant notamment, à l’été 43, à la gigantesque bataille – de chars et d’hommes – de Koursk, tournant décisif – plus que Stalingrad – de la guerre sur le front russe.

Il en réchappa donc, et se retrouva “récupéré” par l’armée française. Cela lui valut de se retrouver à la fin de la guerre et du Soldat oublié, à une prise d’armes à l’Arc de Triomphe où tandis que retentissait la sonnerie aux morts, Sajer pensa surtout à ses camarades de combats allemands dévorés par la guerre. Pour lui ils n’avaient pas démérité et sur cette expérience, Sajer/Mouminoux/Dimitri n’a jamais pratiqué la repentance. Quoiqu’il en soit, Le Soldat oublié demeure un des plus touchants car réalistes ouvrages du genre : le livre connut la consécration démocratique et commerciale du livre de poche – 3 millions d’exemplaires vendus en une trentaine de langues dont le chinois (nationaliste ?) – et même littéraire – Prix éminemment germanopratin des Deux Magots. Et l’armée américaine l’a même conseillé à ses officiers.

Mais il y eut une vie après la guerre – et avant Le Soldat oublié – pour Guy M : très tôt (1946) il devient un dessinateur pour la jeunesse, et on retrouve dans les années 40 et 50 sa signature dans une bonne dizaine de périodiques pour l’enfance sage de l’époque. Moi, je l’ai repéré à la charnière des années 60 et 70 dans l’hebdo Pilote de René Goscinny, un temps le journal de bd des collégiens et lycéens branchés : je me souviens des aventures d’un petit prince blond et médiéval, confronté à des ennemis ressortant à un bestiaire diabolique et fantastique – je n’avais pas entendu vraiment parler, à la même époque, du Soldat oublié. Il parait qu’on a pu le lire aussi dans Spirou et Tintin.

Le triomphe historiquement incorrect du Soldat oublié lui vaut d’être viré de Pilote. Qu’importe il rejoint la bande pluri-anarchiste du très libertaire professeur Choron et de son Charlie Mensuel. C’est dans ce biotope particulier, je crois, qu’il commence, sous son nouveau nom de plume et de pinceau de Dimitri, sa saga du Goulag, avec l’anti-héros résigné Eugène Krampon immergé, seau sur la tête, dans cet archipel d’oppression et d’absurdité, seulement éclairé par la blondeur et les longues jambes de la belle Loubianka.

Eugène Krampon

Eugène Krampon

On suivra Eugène Krampon dans des journaux comme L’Echo des Savanes, et à gauche (L’Evénement du Jeudi) comme à droite (Magazine Hebdo) du prisme de la presse magazine française.. Preuve du grand succès rencontré par la quinzaine d’albums de la série, sorte de version fun et imagée de l’oeuvre d’un Soljenitsyne, et qui survivra un peu à l’effondrement de l’URSS. Du reste, il me souvient d’un épisode où Krampon se retrouvait dans sa France native, une France que Dimitri décrivait abrutie par le foot et le consumérisme, et subjuguée par l’immigration de masse : pour Dimitri Sajer, les crimes et les aberrations gigantesques du communisme soviétique n’absolvaient absolument pas l’Occident de ses mortelles turpitudes : là encore une attitude à la Soljénitsyne, au fond…

Je n’étais pas un fan du Goulag. Mais j’ai beaucoup aimé ses albums consacrés à la deuxième guerre mondiale, dont celui sur Koursk et ce Kaleunt, passionnant et triste évocations des sous-mariniers allemands, surfant en quelque sorte sur le succès du film Das Boot. Il y avait aussi cet autre albums consacré aux captifs allemands de Stalingrad, partis à 90 000 et revenus (à la mort de Staline) à 3 000 : à un moment Dimitri fait entonner à ses naufragés de l’Histoire leur hymne national, ce Deutschland über Alles devenu une protestation contre le tragique de leur sort. Très réussie aussi, l’évocation du désastre naval russe de Tsushima, pendant la guerre russo-japonaise de 1905 : là encore la précision de la reconstitution servait le tragique de l’évocation.

Guy Sajer

Guy Sajer

Je n’ai pas l’impression que la mort de Mouminoux-Sajer-Dimitri éveille beaucoup d’échos dans la presse ce matin. Je crois que le Système actuel contournait, en quelque sorte, ce talent gênant. Qui a donc rejoint la grande armée des soldats inconnus et oubliés dont il fut une voix forte.

Pierre Robin

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