Dubaï, son mall pour richissimes « fashion victims », ses tours gigantesques, ses palaces flottants, son île en forme de palmier. Dubaï et son festival international de cinéma qui, en huit années d’existence, s’est imposé comme l’un des plus cotés de la planète.
Au dernier festival, en décembre dernier, c’est Wadjda, premier film d’une cinéaste saoudienne, qui a remporté le Muhr Award, récompense couronnant le meilleur long métrage du cinéma arabe. Récompense d’autant plus méritoire que Haifaa Al Mansour a tourné son film en Arabie saoudite même, pays où le cinéma est interdit ou presque.
Le vélo y est aussi interdit pour les filles, comme la conduite, ou le chant… Trois activités d’une absolue banalité chez nous mais qui, cataloguées comme péché majeur au royaume du fanatisme, sont au cœur du film d’Al Mansour.
Wadjda est une petite fille de 12 ans qui vit dans une banlieue de Riyad. La gamine est futée, plus tenace que frondeuse ; elle contourne, compose pour mieux avancer. Son rêve : un vélo vert pour faire la course avec son copain Abdallah. Sa mère ne l’achètera pas, convaincue qu’une selle de vélo n’est pas la place d’une fille correcte. Et puis, le vélo, ça empêche de faire des garçons plus tard. Alors la gamine se débrouille, vend des babioles et des services aux copines dans l’étouffoir de sa médersa.
Pas de pathos dans ce film, même pas de revendication féministe ostensible. Juste la vie comme elle va, là-bas, dans ce pays qui a le cul vissé dans le pétrole et des mœurs qui n’ont rien à envier à l’Iran des mollahs.
Haifaa Al Mansour y va par petites touches et l’on devine les tiraillements d’une société écartelée entre privé et public, ombre et soleil, jeans-baskets et niqab, rock et récitation du coran, amour et mariage à 12 ans…
Facile de haïr les hommes. Et difficile, vu d’ici, de comprendre ces femmes qui perpétuent les traditions barbares dont elles sont pourtant les premières victimes. Car ce sont bien les mères qui, par leur dévotion aveugle au mâle, transforment les garçons en petits dieux, puis les hommes en bourreaux. Elles encore qui arrangent les mariages et règnent sur les dynasties. Elles qui brisent leurs filles, encore et toujours, et font de l’interdit la norme.
Haifaa Al Mansour a fait ses études au Caire, en Égypte, puis s’est formée au cinéma en Australie. Elle revient tourner dans son pays, protégée par des appuis hauts placés et persuadée qu’elle bougera les choses « de l’intérieur ». Elle en veut pour preuve les appuis en question, et sa famille « libérale » : enfant, elle a eu un vélo, comme ses frères.
Hier, alors que son film sortait sur nos écrans, on a appris qu’un prédicateur saoudien venait d’être condamné à une courte peine de prison et une « compensation financière » (appelée « prix du sang ») à verser à la mère de sa fillette de 5 ans, morte des sévices qu’il lui avait infligés. Violée sauvagement, torturée, le crâne fracassé, l’enfant est morte de ses blessures.
L’Arabie saoudite n’est pourtant pas un pays « laxiste » puisqu’on y coupe allègrement les mains des voleurs, et procède chaque année à des dizaines d’exécutions publiques. Le viol et le meurtre y sont en effet passibles d’une condamnation à mort… Sauf… sauf qu’un père ne peut pas être condamné à la peine capitale pour le meurtre de son enfant ou de son épouse, s’en tirant en général avec une peine variant entre 5 et 12 ans de prison. Cette fois, le coupable, sorte de « télévangéliste local », n’a eu à faire que son temps de préventive.
Pourtant, tous nos politiques – de France, des USA et de Navarre – vous le diront : l’Arabie saoudite est un merveilleux pays devant lequel on ne se prosternera jamais assez.