Divers

Jean Pierre Mocky le franc tireur

Jean-Pierre Mocky, le Despérado

crédits : Mathilde Hamet/Mairie de Paris

Après le Studio des Ursulines , voici le Despérado (5e), cinéma qu’on connait au moins autant pour sa programmation que pour le nom de son propriétaire: l’increvable Jean-Pierre Mocky. L’occasion de rencontrer un exploitant-réalisateur qui tourne à toute vitesse et adore prendre des sens interdits.

 

« Avec les problèmes qui se posent aujourd’hui au niveau de la liberté de création, tous les cinéastes cherchent à avoir leur salle. J’en parlais encore avec Woody il y a quelque temps, il est du même avis. »

77 films et 17 enfants

Quand Mocky dit Woody, comprenez Allen. S’il dit Francis, entendez Coppola. Jean-Luc ? C’est Godard bien sûr.

Assis chez lui, dans son grand appartement à moitié vide, Mocky fait figure de dernier des Mohicans, mais c’est surtout un ogre. Il a tout fait, connait tout le monde et reste insatiable avec ses 77 films et les 17 enfants qu’on lui prête. « J’aime beaucoup les femmes aussi » précise-t-il au détour d’une phrase, au cas où l’on ne s’en serait pas douté.

Le cinéaste a connu de gros succès et des bides retentissants. Aujourd’hui, il tourne un film pour 100 000 euros. « Quand on sait qu’un film normal coûte 300.000 euros de promo, s’amuse-t-il ». Depuis un an, il a réalisé comme ça quatre longs métrages, que « Le Film Français », la bible des professionnels, n’a même pas pris la peine de mentionner.

Et alors ? Mocky est un franc-tireur, il a ses copains, des idées plein ses tiroirs, une salle pour faire voir sa production. Peu importe si la petite famille du cinéma lui a en grande partie tourné le dos. « Les productions classiques sont cons comme la lune, constate-t-il sans sourciller. D’ailleurs les acteurs viennent chez moi faire une cure, parce qu’ils en ont marre de tourner des conneries. »

Le Brady : « Gorge profonde » et jambe de bois

Depuis le début de sa carrière, Mocky est toujours resté fidèle à un anticonformisme qui se reconnait au premier coup d’œil : esprit anar, érotisme rigolard et vitesse d’exécution de série B. Pour garantir cette liberté de ton, il a très vite compris que l’autonomie était une nécessité. Il est donc devenu producteur,  a racheté ses bobines, puis s’est mis à l’exploitation de salle à partir de 1994.

« Quand j’ai repris le Brady, c’était un cinéma permanent, qui diffusait des pornos softs en continu, se souvient-il. Ce genre de salles attiraient un public plutôt particulier, des clochards qui venaient là six ou sept heures d’affilée pour quelques francs. Ils mangeaient leur sardines sur place, dormaient, faisaient pipi sur les fauteuils. Sans parler de l’Egyptien qui se mettait tout nu avant de parcourir la salle pour se trouver une fille. C’était le folklore. Une fois qu’on a repris les lieux, on a imposé des coupures entre chaque séance et tout ça, ça été terminé. Enfin, il y avait bien encore quelques drôles de personnages, comme cette dame avec une jambe de bois, mais plus rien de comparable. »

L’aventure du Brady va durer 15 ans, jusqu’à ce que l’affaire périclite, faute de spectateurs. Reste les souvenirs des cinéphiles qui ont notamment pu y voir « Gorge profonde » ou « Derrière la porte verte », des jalons de la pornographie made in USA. « Quand on a programmé Gorge profonde, s’amuse le cinéaste, on s’attendait à voir défiler les satyres et finalement, c’est des jeunes filles qui sont venues. C’était plutôt rigolo. Mais enfin, on ne l’a pas passé plus d’un an ».

Entrée du Despérado - Nouvelle fenêtre

Le Despérado : un succès désespéréEn 2011, Mocky tente sa chance une nouvelle fois en reprenant l’Action Ecoles. Ouverte en 1977, cette salle qui a fait découvrir Chaplin ou Buster Keaton à toute une génération connaît alors des heures difficiles. Mocky s’y installe donc sans trop d’illusions et baptise l’endroit d’un nom évocateur: le Despérado. Là, il passe des classiques américains, les westerns qu’il adore, les films d’Autant-Lara et ses propres bobines, qui peinent maintenant à trouver des débouchés dans les circuits habituels. Et contre toute attente, ça marche, le public est au rendez-vous. « Le taux de remplissage atteint les 60 % les bons jours, un très bon chiffre pour ce genre de salle. » Il faut dire qu’à l’inverse du Brady, le Despérado est bien situé, au beau milieu du quartier étudiant où se croisent cinéphiles pur jus et amateurs de curiosités.

 

Charles Aznavour – Les dragueurs un film de Jean Pierre Mocky – 1959

[youtube id= »t1SBksM0jLo » width= »600″ height= »350″]

Aujourd’hui, fort de ce succès, Mocky s’apprête à racheter une nouvelle salle, où ses propres films trouveront mieux leur place, parce qu’il n’est pas toujours facile de caser « A mort l’arbitre » entre Marylin Monroe et Danielle Darrieux.

Quand pour finir on lui demande de quelle manière il conçoit sa programmation, Mocky n’y va pas par quatre chemins  : « On essaie de ne pas passer trop de conneries. » Une bonne dose d’exigence et beaucoup de simplicité, c’est sa méthode.

Fils d’immigré juif ukrainien, garçon de plage, proxénète, secrétaire de Von Stroheim et assistant de Visconti, Mocky est l’homme aux mille vies et aux zéros regrets. Pourtant, quand il évoque la fin solitaire des grands anciens, Bunuel, Fellini ou Orson Welles, il perce comme une angoisse. Peu importe : il sait bien comment finissent les despérados : à brides abattues.

Les + programmation:

Le Despérado compte deux salles et diffuse des films toutes la journée de 14h00 à minuit.
En dehors de films classiques américains et de films de patrimoine français, on peut également y voir la production de Mocky lui-même.
Le Despérado accueille également des avant-première et le Cinéclub de la Sorbonne.

Accès

23, rue des Ecoles
75005 Paris 5e arrondissement
Metro Maubert-Mutualite, Jussieu.

sourceparisfr

Laisser un commentaire