Il y a des chiffres qui parlent, même ceux concernant la dégringolade du budget de la grande muette. 4,3 % du PIB en 1966, 2,97 % en 1981, 1,6 % en 2002 et 1,56 % en 2012. Et, plan de restriction budgétaire oblige, ce ne serait qu’un début
La situation est telle que Patricia Adam, présidente de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale, s’en inquiète dans Le Monde de lundi dernier : « Le scénario de Bercy vise à tuer le ministère de la Défense. Dès 2015, si on le suit, il ne lui restera que la sécurité nationale (la gendarmerie), les forces spéciales et la dissuasion [nucléaire NDLR]… » On précisera que cette dame, socialiste, n’est en rien fille spirituelle du défunt général Bigeard.
Tout cela tombe évidemment au plus mauvais moment. Bernard Cazeneuve, qui a remplacé Jérôme Cahuzac après la démission éclair de celui-ci, a été député de la Manche et maire de Cherbourg, localité où l’armée participe à la relative bonne santé du tissu économique local ; pis, il a encore été rapporteur de la mission d’enquête parlementaire sur l’attentat de Karachi, sur fond de vente d’armes discrètes et de rétro-commissions douteuses. Délicat donc, d’être à la fois juge et partie.
Car si l’hypothèse la plus « économe » était retenue, soit réduire les dépenses de l’armée à 28 milliards à l’horizon 2015, voilà qui induirait, toujours selon le quotidien vespéral, « 50.000 suppressions d’emplois au ministère (100.000 au total, soit plus d’un tiers d’ici à 2020) et environ 30.000 emplois industriels. »
Mais, au-delà des simples statistiques, c’est aussi une tout autre philosophie de notre défense nationale qui se dessine. Se recentrer sur notre seule « défense nationale » équivaudrait, avec quelques décennies de retard, à s’inspirer une fois de plus du modèle allemand. En effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et funeste sort des armes oblige, l’Allemagne, privée de son armée, hormis une sorte de garde nationale, confia sa sécurité au puissant parrain américain. Ce qui lui permit, à l’instar de son ancien allié japonais, de réaliser de consubstantielles économies, la charge en revenant au contribuable US.
Cette philosophie était encore plausible, surtout pour des nations vaincues puisque, guerre froide oblige, le possible affrontement à venir ne concernait que deux blocs bien distincts. Et ce fut la grande intuition du général de Gaulle de tenir la France, nation qui n’était pas vraiment du camp des vaincus, mais encore moins de celui des vainqueurs, de nous permettre de jouer la troisième force, puisque doté de dissuasion nucléaire, d’une armée souveraine et d’une diplomatie indépendante.
Ce legs, ses successeurs, de droite comme de gauche, n’auront eu de cesse de le piétiner, jusqu’à ce que la France revienne dans l’OTAN, opération initiée par Jacques Chirac et finalisée par Nicolas Sarkozy. Que l’actuel gouvernement veuille renouer avec ses vieux démons atlantistes, quoi de plus logique, à ce détail que le monde a changé entre-temps. L’URSS n’est plus. À un ennemi naguère clairement identifié s’est substituée une nébuleuse d’adversaires incertains, tandis que le centre de gravité géopolitique se déplaçait vers l’océan Pacifique, les USA se désintéressant de plus en plus de l’Europe.
Le moment est donc particulièrement malvenu. Ce d’autant plus que c’est celui que François Hollande choisit pour reprendre la main sur notre pré carré africain. Rogner budgets et matériels pour exiger dans le même temps que nos soldats puissent intervenir çà et là, au gré de nos intérêts et des impératifs stratégiques à venir : tout cela sent la politique de Gribouille.
Bref, au train où vont les choses, nos soldats seront tout juste à même d’intervenir à Andorre ou Monaco.