Le 17 janvier 1941, aux abords de l’île de Koh Chang, la marine française d’Indochine infligeait à la Thaïlande une lourde défaite dans le cadre d’un conflit territorial. Cet affrontement fut la seule victoire navale flotte contre flotte à mettre au crédit de notre pavillon au cours des deux guerres mondiales réunies. Et même si l’on remonte à des temps immémoriaux, il est peu d’exemples d’une escadre française envoyant par le fond – ou rendant inopérantes – la totalité des unités ennemies, dans ce cas-ci égales en nombre et supérieures en technologie.
L’artisan de cette victoire, le commandant Bérenger, rentra au port de Saïgon sous les acclamations d’une foule annamite et européenne qui ovationnait ses marins à la parade, au complet sur des bâtiments indemnes de toute éraflure.
Ce fait d’armes contraignit la Thaïlande au cessez-le-feu et impressionna les Japonais ainsi incités à la prudence. Certes, cette victoire navale n’empêcha pas le coup de force nippon du 9 mars 1945 – la donne internationale aura alors changé – mais elle préserva l’Indochine de la guerre du Pacifique qui faisait rage autour d’elle pendant les quatre années qui s’ensuivirent.
Au-delà de la prouesse militaire et de ses conséquences, la victoire française de Koh Chang est avant tout un symbole. Celui d’une France qui, bien qu’humiliée par une débâcle, blessée par un armistice inégal, sait toujours vaincre malgré l’adversité, son génie étant intemporel, indépendant des soubresauts du monde et des atermoiements politiques.
Et cependant, en ce 17 janvier, 72e anniversaire de la bataille de Koh Chang, pas le moindre hommage officiel ne sera rendu à nos marins de 1941.
Évidemment, la raison de cette solennelle aphonie de ceux qui nous gouvernent pourrait être la courtoise attention de ne pas froisser la Thaïlande. Agiter sous le nez de son office de tourisme une vieille carte postale toute grise de ses îles sous le feu de nos canons, à une époque où les cocotiers poussaient en noir et blanc, n’est certes pas très aimable. Surtout quand ce beau pays ensoleillé accueille chaque jour davantage de nos compatriotes candidats à l’expatriation, parce que lassés justement de la pitoyable gouvernance qu’ils subissent chez eux. Cela, on aurait pu le comprendre.
Las ! Il n’en est rien. Car, quand bien même eût été cet acte diplomatique fort, il vous faudrait chercher longtemps pour dénicher, dans quelque recoin du territoire, une plaque indiquant une venelle ou un square excentré qui veuille bien porter le nom de Koh Chang, ou le patronyme d’un commandant Bérenger s’étalant sur le flanc d’un de nos vaisseaux de guerre. Quand, par ailleurs, on célèbre à tout bout de champ de glorieux inconnus au passé pas très net ou des « grandes dates » telles le 19 mars 1962 pour des prétendues « paix » qui n’honorent que la vision douloureuse d’une France affaiblie, le motif d’une si méprisante amnésie est à chercher ailleurs.
Cette victoire qu’on nous cache si bien et que les profs de nos écoles sont tenus de ne pas rappeler souffre d’une tare originelle : en 1941, l’Indochine attaquée était sous le gouvernorat de l’amiral Decoux. Celui-là même qui eut le mauvais goût de ne reconnaître l’autorité du général de Gaulle qu’après la libération de la métropole.
Alors, que voulez-vous, quand toutes les valeurs s’inversent, la gloire d’une victoire – ainsi que l’honneur des marins et des officiers qui y ont contribué –, fut-elle exceptionnelle tant par son symbole que par sa rareté, ça ne vaut pas bien cher face à une fatale erreur de protocole
Il edite un blog.
Eric Miné
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