e tous les grands bluesmen, Buddy Guy est le dernier. BB King, John Lee Hooker, Muddy Waters et les autres sont partis jouer dans le grand orchestre de l’au-delà. C’est donc à lui de maintenir le flambeau. Ce qu’il fait d’ailleurs, montrant un brio proprement insolent, malgré ses 89 printemps, avec cet album, Ain’t Done With the Blues.
Comme tant d’autres de ses collègues, Buddy Guy voit le jour dans le sud des États-Unis. Nous sommes le 30 juillet 1936, à Lettsworth, Mississipi. Ses parents sont métayers, mais lui ne rêve que de musique – de blues, plus précisément. Il fabrique sa première guitare à tout juste sept ans : un bout de bois, deux fils de fer accrochés avec les épingles à cheveux de sa mère font l’affaire. La ségrégation raciale est alors la norme et il voit bien que la « Terre promise » des pères fondateurs n’est pas pour lui. À 21 ans, il monte donc à Chicago pour tenter de vivre de son art. Plus facile à dire qu’à faire. Bref, il crève tant de faim que son sort attendrit Muddy Waters, l’une des figures de proue du blues chicagoan, qui le prend rapidement sous son aile et lui permet d’obtenir ses premiers engagements. Bonne pioche : le jeune Buddy se révèle tôt être un musicien surdoué, doublé d’un chanteur d’exception, à la voix suave et plaintive à la fois.
Il va jusqu’à influencer Jimi Hendrix…
Ne lui reste plus qu’à trouver son style, histoire de se démarquer d’une concurrence alors plus que féroce. Qu’à cela ne tienne, il joue tel un damné, martyrisant les cordes de sa guitare électrique, en joue derrière la tête, avec les dents. Un Jimi Hendrix saura bientôt s’en souvenir et en fera même sa marque de fabrique. De même pour de nombreuses futures stars de la six-cordes, Buddy Guy est celui qui aura le premier révolutionné l’instrument.
Avec un coup de main des Rolling Stones…
En 2005, alors qu’il est honoré au Rock and Roll Hall of Fame, Eric Clapton le présente en ces termes : « Il a été pour moi ce que Elvis Presley a probablement été pour beaucoup d’autres. » Au rang de ces derniers ? Les Rolling Stones au premier chef, qui le pressent d’assurer leur première partie, à l’occasion de leur tournée française de 1970. À l’époque, Buddy Guy se produit en duo avec Junior Welles, harmoniciste de génie. Pour lui, ce sont les grandes années, la plupart des jeunes talents européens qui savent tant lui devoir viennent s’acquitter de leur écot. D’où cet album, publié en 1972 chez Atlantic, le label discographique majeur de l’époque, et sobrement intitulé Buddy Guy & Junior Wells Play the Blues, produit par Clapton en personne et sur lequel des musiciens aussi prestigieux que Dr. John et le J. Geils Band viennent prêter main-forte.
Puis le blues passe de mode et arrivent les sinistres années 80, qui semblent signer l’arrêt de mort de cette musique usinée avec des instruments de cuivre et de bois. Place aux synthétiseurs, aux groupes pop à mèches et à ces gandins qui du passé n’ont que foutre. Buddy Guy survit malgré tout, enregistre des albums sublimes, mais publiés dans l’indifférence générale.
Ouvrir un bar pour assurer ses vieux jours…
Histoire de tenter de se mettre à l’abri pour ses vieux jours, il ouvre un bar dans son sanctuaire de Chicago, baptisé, en toute modestie, le Buddy Guy’s Legend. Il est vrai que ses clients ne sont pas tout à fait des anonymes, tel qu’en témoigne ce double album, malheureusement sorti dans le seul domaine parallèle et à moitié légal : Muddy Waters & The Rolling Stones, enregistré dans le troquet en question. N’oublions pas, non plus, le prodige texan, Stevie Ray Vaughan, venu croiser le manche au bout du comptoir, le temps d’un Champagne & Reefer, un vieux titre de Muddy Waters.
Aujourd’hui, encore, le Buddy Guy’s Legend est toujours ouvert et continue d’accueillir le gotha de ce rock devant tant au blues. L’investissement est judicieux, notre homme se retrouvant, à l’aube des années 90, sans maison de disques. Apprenant la nouvelle, Eric Clapton (toujours lui) rameute ses amis, Jeff Beck et Mark Knopfler, de Dire Straits, somme Silvertone Records de signer un contrat et, tant qu’à faire, propose de régler la facture du studio. Ce sera Damn Right, I’ve Got the Blues, qui s’écoulera par wagons entiers. La même année, Clapton fait monter Buddy Guy sur scène, lors de son marathon de 24 nuits de concerts, donnés dans le prestigieux Royal Albert Hall londonien.
Un concert devant les époux Clinton…
La carrière de Buddy Guy sera donc relancée grâce à ceux qu’il avait jadis inspirés. Qui a dit que l’amoralité régnait en maître, dans le show-biz ? Ainsi, en 2008, lorsque le cinéaste Martin Scorsese tourne Shine a Light, concert privé des Rolling Stones devant un public choisi, dont Bill et Hillary Clinton, qui vient rejoindre le quatuor anglais, si ce n’est… Buddy Guy ? Depuis, il continue d’enregistrer quasiment un album par an. Jamais de remplissage et toujours des invités prestigieux. Et il le fait toujours avec son inébranlable bonne humeur, sans rancœur vis-à-vis des avanies passées et avec un cœur toujours intact.
À ce titre, son dernier album est beau à tomber à la renverse. L’énergie qu’il y déploie a, de plus, de quoi faire passer tous nos rappeur pour des Petits Chanteurs à la croix de bois passablement enrhumés. Il y a ainsi des vieux qui nous filent un sacré coup de jeune.