Un prophète antitotalitaire, George Orwell
Le nom de George Orwell, auquel est parfois adjoint celui d’Aldous Huxley, qui fut d’ailleurs son professeur de français au collège d’Eton, est de plus en plus souvent prononcé et son œuvre redécouverte, à mesure de l’extension de la pieuvre mondialiste sur l’ensemble de la surface terrestre, avec ses tentacules visant à uniformiser les êtres, afin de les rendre interchangeables au profit du marché, à domestiquer les pensées, pour imposer une vérité unique et obligatoire (moins un individu pense, mieux il produit et consomme), à brimer les récalcitrants, dans le dessein de faire table rase des ratiocineurs.
Les dernières illustrations en date, ô combien emblématiques, sont celles des « Gilets jaunes » et de la crise sanitaire… Il n’y a donc pas de hasard à ce regain d’intérêt du public non lobotomisé pour Orwell, tant l’auteur reste associé à ses deux œuvres les plus célèbres, La Ferme des Animaux et 1984. Curieusement, il n’existait que très peu d’études en langue française consacrées à Eric Arthur Blair, le vrai nom d’Orwell, lacune que se sont proposées de palier les éditions Pardès, en offrant une remarquable biographie de Thomas Renaud, déjà auteur d’un portrait ciselé de Bernanos.
Thomas Renaud restitue fidèlement les différentes étapes de la vie d’Eric Blair : la naissance en Inde, au tout début du XXe siècle au sein d’une famille de la petite bourgeoisie coloniale, une enfance assez mal vécue par le jeune Eric, la découverte de la littérature (Swift, Kipling, Thackeray…), le prestigieux et formateur collège d’Eton, les fonctions de policier en Birmanie pendant sept ans, l’expérience, volontaire, des bas-fonds, tant à Paris qu’à Londres, les activités de journaliste comme planche de salut… jusqu’à l’éclosion de l’écrivain, du moins celle de son nom, en 1933, emprunté à celui d’une petite rivière. Par-delà le récit du parcours de l’homme et de la construction de l’écrivain, l’approche de Thomas Renaud est particulièrement appréciable en ce qu’elle cerne bien ce qui constitue les ressorts psychologiques de George Orwell : l’attention aux petites choses, la souffrance et la défaite de l’homme qui rejoignent ses propres tourments intérieurs, la fidélité à son âme d’enfant couplée à la dénonciation du cynisme du monde des adultes…
Le tournant véritable, pour Orwell, est incontestablement celui de la guerre d’Espagne, qui forge sa vision politique du monde (question sociale, notion de « décence ordinaire », anti-stalinisme…), mélange de socialisme authentique et de patriotisme ardent, faisant de lui un inclassable et un contempteur acharné du totalitarisme.
C’est au terme d’une vie de réflexion et d’expériences très dissemblables qu’Orwell rédige La Ferme des animaux (1944), critique du communisme stalinien, puis le mythique1984, écrit dans des conditions de vie et de santé tant romanesques qu’éprouvantes, sur l’île de Barnhill, achevé en 1948 et dénonçant (avec quelle prescience ! ) la technique, la mécanique du pouvoir et la surveillance de masse. Orwell s’éteint, vaincu, non par le crime de penser, mais par la tuberculose pulmonaire, en 1950, à l’âge de quarante-six ans.
Une biographie très agréable à lire, érudite sans jamais être pesante. Une vraie réussite.
Arnaud Robert
Titre : « George Orwell »
Auteur : Thomas Renaud
Editeur : Pardès
128 pages – 12 euros