« Jean Pieuchot
– créateur du métier de régisseur de cinéma
et professeur à l’Institut des Hautes Études Cinématographiques –
nous fait partager dans son livre
la passion qu’il a éprouvée
au cours de ces 40 ans d’histoires de cinéma »
(propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
Quel était le rôle du régisseur de cinéma vers 1950 avant que vous n’ayez créé réellement ce métier ?
Lorsque l’on construisait en studio tous les décors, même les rues, on ne sortait presque jamais en extérieur, le travail du régisseur général était minime, il consistait seulement à fournir les figurants, qu’il allait chercher dans un bistrot où ils se rassemblaient tous. Le régisseur n’avait même pas besoin d’écrire une lettre que la secrétaire de production était fort capable de rédiger elle-même.
Quel est son travail maintenant ?
Lorsqu’avec la nouvelle vague, on abandonna les studios pour des extérieurs et des décors naturels, le rôle du régisseur général devint de plus en plus important.
Dès la préparation du film, il devait présenter au réalisateur, le matin, les acteurs de second rôle et, l’après-midi, lui faire visiter les décors naturels, appartements, châteaux, etc., que souvent il devait dénicher lui-même. Ainsi le travail devint peu à peu énorme. Il lui fallait de plus réserver des logements pour toute la troupe qui se montait généralement à plus de cent personnes, acteurs techniciens et ouvriers. Il devait avoir suffisamment de connaissances en art pour ne pas présenter un château renaissance pour une histoire médiévale…
Deviez-vous encore avoir d’autres connaissances spécifiques ?
Il devait encore avoir suffisamment de connaissances musicales, aussi bien classique que folkloriques. Six mois avant le tournage de L’Enfer, Henri-Georges Clouzot, qui en était le réalisateur, voulu me voir. Après plusieurs entretiens et m’ayant testé sur mes connaissances, il me fit écouter un disque de musique germanique et me demanda abruptement : « Vous connaissez ? » ; je répondis immédiatement « Oui, c’est de Stockhausen ! »… Il s’écria : « Bravo, vous êtes engagé, c’est mieux que mon ingénieur du son qui m’a répondu : je préfère Le Beau Danube bleu. »
Rencontriez-vous des difficultés particulières ?
Concernant les autorisations de tournage avec la RATP ou la SNCF, je compris vite qu’il fallait surtout intéresser leurs responsables à l’histoire du film de façon à ce qu’ils se sentent impliqués. Ainsi pour le Samouraï de Jean-Pierre Melville, avec Alain Delon, nous devions tourner dans plusieurs stations de métro avec plusieurs rames. Or, jusque-là la RATP ne donnait d’autorisations pour tourner que dans une station désaffectée, et avec une seule rame, je dus contacter les directeurs de cette administration à plusieurs reprises. Entretenant d’excellents rapports avec eux, j’obtins finalement l’autorisation de tourner dans tous les endroits prévus au scenario, ce qui nous aida beaucoup dans cette réalisation.
De même, j’obtins le concours de la SNCF pour le tournage du film L’Ordre et la Sécurité du Monde de Claude d’Anna avec Bruno Cremer et Dennis Hopper, ils m’accordèrent même une aide technique pour une scène difficile, de nuit, avec des passages silencieux de wagons qui glissaient dans l’obscurité.
Avez-vous des souvenirs particuliers avec les acteurs ?
Mes rapports avec les vedettes étaient très amicaux. Pour moi, je ne faisais guère de différence entre une vedette et un technicien. Dans mon esprit, nous étions tous là pour former une équipe unie afin de concourir à la meilleure façon de réaliser le film. Tout le monde se tutoyait d’ailleurs en général, vedette ou technicien.
Vous avez souvenirs particuliers ?
Je n’ai jamais rien oublié : Michelle Morgan avec ses grands yeux bleus ; Romy Schneider tendre et vulnérable ; Danielle Darrieux toujours parfaite ; Marina Vlady au troublant charme slave ; Gina Lollobrigida aux formes envoutantes ; Brigitte Bardot belle et imprévisible ; Sophia Loren inoubliable ; Jean Gabin aux rapports amicaux ; Jean-Paul Belmondo le farceur ; Alain Delon très agréable ; Gérard Philipe romantique ; Bourvil toujours blagueur ; Lino Ventura ombrageux…
Votre livre fourmille d’anecdotes…
C’est ce dont les gens raffolent, non ?
Régisseur de cinéma de Jean Pieuchot, préface de Gérard Oury, 442 pages, 35 euros, éditions Dualpha, collection « Patrimoine du spectacle », dirigée par Philippe Randa.
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Francephi – Editions Dualpha, Déterna,
Image à la une //Le Samouraï, Jean-Pierre Melville, 1967, France.