En quête des mystères du vivant
On se demande parfois ce qu’il serait advenu des destins de certains personnages illustres, si leurs existences avaient été transposées à une époque différente de la leur. Mais seraient-ils justement passés à la postérité ? Cette réflexion prend davantage d’ampleur encore, lorsque la vie de ces personnalités rencontre le drame ou la tragédie, nés des affres de l’Histoire.
L’existence de Leni Riefenstahl est véritablement hors du commun. Née en 1902, elle connait une enfance heureuse, proche de l’art et de la nature ; son âme romantique et médiumnique est toute tournée vers les songes et la rêverie. Dès son adolescence, Leni se passionne pour le théâtre et apprend la danse, qui lui permet de voyager ; entre 1923 et 1924, la danseuse s’accomplit en soixante-dix récitals… jusqu’à l’accident à Prague, où un ligament claque.
C’est en se rendant à une séance du film La Montagne du Destin que sa passion pour la montagne, la Nature et le cinéma naît. Elle rencontre le réalisateur, Arnold Franck, qui devient son mentor. De 1926 à 1933, de La Montagne sacrée, son premier rôle, à SOS Iceberg, l’un des premiers films en couleurs, Leni est tout à la fois actrice, réalisatrice et alpiniste ! Dès 1931, elle réalise son premier film, La Lumière bleue, un succès jusqu’en Amérique ou au Vatican !
En janvier 1933, Adolf Hitler devient chancelier. Enthousiasmé par La Montagne sacrée, Hitler invite Leni Riefenstahl pour discuter d’architecture, de Richard Wagner, de Louis II de Bavière et de sa propre mission. A 31 ans, elle se voit proposer par Hitler la réalisation d’un film à la gloire du NSDAP, offre qu’elle refuse dans un premier temps, avant de finir par se laisser convaincre. Ce sera La Victoire de la foi, tourné en quelques jours, à l’occasion du cinquième congrès du Parti, à Nuremberg.
Puis vient Le Triomphe de la Volonté, en 1934-1935, chef-d’œuvre de propagande et de « propagation », aux moyens colossaux : 120 personnes assistent la réalisatrice, 30 caméras, 4 équipes de prises de son, des équipes d’électriciens, 22 voitures avec chauffeur… Une masse de 133 000 mètres de pellicule à réduire à 3000 mètres ! Le Triomphe de la Volonté sera médaille d’or au festival de Venise et médaille d’or du cinéma à Paris, en 1937. Leni Riefenstahl réalise, de 1936 à 1938, son chef-d’œuvre cinématographique, Olympia, documentaire consacré aux jeux Olympiques et aux dieux du stade, disposant de moyens humains et techniques considérables (téléobjectifs géants, caméras insonorisées, caméras automatiques miniatures accrochées à des ballons, etc.). Olympia recevra la médaille d’or du Comité international olympique en 1948. Les films s’enchaînent : Penthésilée, Quo Vadis ?, Tiefland, Germania (sur la transformation de Berlin)…
En 1945, Leni a 43 ans, il lui reste encore 58 ans à vivre ! Elle vit alors, pendant neuf années, les pires moments de son existence : traquée, arrêtée, évadée à trois reprises, affamée, torturée par électrochocs, mise en procès… et acquittée. Ses films sont volés, dépecés ou négociés. Elle est réduite à l’indigence. Dès 1954, Leni Riefenstahl lance de multiples projets de films de fiction, avec le fidèle soutien de Jean Cocteau, mais elle est condamnée à l’axiome d’indignité.
Elle décide alors, à 52 ans, de partir en Afrique, à la rencontre des lutteurs noubas, dans la province soudanaise du Kordofan, où elle reste pendant sept ans. En 1962, à 60 ans, elle installe son camp près d’une colonie et apprend le langage de ce peuple qui l’adopte. L’Afrique renouvelle Leni, laquelle devient photographe et publie deux livres : Nouba, puis Les Nouba de Kau. Ces odes au continent noir permettent à Leni de relancer sa carrière artistique et de répondre à son propre idéal.
En 1973, Leni Riefenstahl éprouve le besoin de nouvelles découvertes et passe son examen de plongée sous-marine à 71 ans, en mentant de dix ans sur son âge ! De la mer Rouge, des Caraïbes, elle remonte à la surface avec un nouvel album de photographies, Jardins de corail.
Après une mauvaise chute à ski à 80 ans, Leni décide d’écrire ses mémoires ; le travail d’écriture dure cinq ans. Elle survit à un accident d’hélicoptère au Soudan, en 2000. Leni Riefenstahl part rejoindre les étoiles en 2003, à 101 ans, près d’un lac de Bavière…
Arnaud Robert.
ar@infos-75.com
Riefenstahl – Gérard Leroy
« Leni Riefenstahl » (1901-2003)
Collection
« Qui suis-je ? »
127 p.
Ed. Pardès, 2015.