Le soir, avec trois autres lascars, on a été regroupés pour prendre la direction de Fleury. Il y avait là un Arabe avec une musculature vraiment impressionnante, peut-être vingt-cinq ans, et avec une tête à faire peur ; une vraie tronche de criminel ! Je ne me souviens plus de son prénom, mais c’est en face de ce mec que je me suis retrouvé dans le camion cellulaire. J’étais assis dans ma petite cabine métallique de cinquante centimètres carrés, et lui dans la sienne. On a commencé à parler à travers l’épais grillage, sans pouvoir distinguer nos visages. Lui, il retournait en cabane… une fois de plus ! Il en était sorti quelques mois auparavant. Tout ça parce qu’une fille l’avait accusé de l’avoir tapée dans la rue, alors que ce n’était pas vrai… Quand je l’ai revu à Fleury, au quartier des arrivants, dans une salle d’attente, il était parvenu à me faire pitié : « Je n’ai jamais eu de chance », qu’il m’a dit d’un air triste. Ensuite, je ne l’ai plus revu. À lui, je n’ai pas eu l’occasion de poser la question : « Il est où, ton papa ? »
Il n’est nul besoin de présenter Hervé Ryssen, écrivain dont les livres donnent de l’urticaire aux différents représentants de la police de la pensée qui lui ont fait payer le prix de son insoumission en l’envoyant séjourner quelques mois en prison. Loin de se laisser abattre par cette expérience difficile, Hervé Ryssen en a fait l’objet de son treizième livre.
Cette succession de courtes histoires aurait pu s’intituler Lettres de prison si le titre n’avait déjà été pris pour le recueil d’un autre écrivain que les mots couchés sur le papier ont envoyé, il y a quelques décennies de cela, en prison d’abord puis devant le peloton d’exécution. Aujourd’hui, la République ne fusille plus mais elle frappe encore sévèrement. Ce livre est donc l’occasion d’une rencontre intime avec son auteur. Il nous parle de son incarcération, de ses rencontres en prison, de son père mort le matin du cinquante-troisième jour passé à la prison de Fleury-Mérogis sans qu’il ait pu lui dire tout ce qu’il aurait voulu lui dire, de sa mère, infirmière bretonne morte en 2016 à l’hôpital où elle avait travaillé durant quarante ans, de sa jeunesse lorsqu’il était gauchiste, avant de comprendre que « l’idéal humaniste d’un monde sans frontières n’aboutissait au final qu’au triomphe des oligarchies cosmopolites« , de ses lectures en prison et après sa libération, découvrant enfin les livres qui lui avaient été adressés mais ne lui avaient pas été remis tant qu’il était en cellule.
Le Coup de la Loi, Hervé Ryssen, éditions Baskerville, 231 pages, 22 euros
A commander en ligne sur le blog de l’auteur
Le concombre masqué