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Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, historien de formation, Marc Piazza est né en Corse de parents corses. Par-delà les péripéties historiques, fidèle à la ligne de conduite initiée dans ses autres ouvrages, il continue à chercher à cerner ce qui se passait non-seulement dans les faits, mais aussi dans les âmes, et quelle pouvait être l’identité d’un Corse de la communauté de Rome ou de Florence au xviie siècle, aussi bien que d’un Européen du temps. C’est ainsi qu’il met en lumière l’apport de la religion et des liens traditionnels de l’île avec le Saint-Siège à l’identité corse.
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
L’affaire de la Garde corse du Pape : une manipulation politique internationale de Louis XIV
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Je fais partie d’une génération qui, même si ce n’est plus le cas aujourd’hui, a été privée de son histoire. Or, sans connaissance du passé historique, il n’y a pas de mémoire, donc pas d’avenir. Et l’avenir, comme chacun sait, « appartient à celui qui aura la plus longue mémoire ». La seule chose plus triste en la matière est de voir sa propre histoire écrite par d’autres, au service de leurs propres objectifs.
Plus tard, en grandissant, j’ai découvert qu’il y avait bien eu une histoire corse au XIXe siècle et dans la première partie du XXe et qu’elle était en train de renaître.
Pourquoi un roman historique ?
Lorsqu’en 2012 j’ai publié mon premier roman historique, Le siège de Furiani, entièrement fondé sur des documents d’époque, tout comme L’affaire de la Garde Corse d’ailleurs, la plus grande satisfaction que j’en ai eue, à mes yeux, ne me vient pas des intellectuels qui m’en ont parlé en bien. Ce serait trop facile : c’est leur fonction. Elle me vient des jeunes du village qui travaillent au tri, à la poste, et qui m’ont dit : « Oui, c’est un bon livre. On l’a prêté à nos copains. »
Que s’est-il donc passé à Rome en 1662 ?
Entre 1662 et 1664, date de la signature du traité de Pise qui met fin au conflit entre Louis XIV et le pape Alexandre VII, le roi de France, qui n’a plus envoyé d’ambassadeur en titre auprès du Saint-Siège depuis plusieurs années, ne cesse de multiplier les vexations envers la famille Chigi, qui est celle du pape, par l’entremise de son envoyé, Monsieur d’Aubeville, lequel ne cesse de faire entorse au protocole. La raison en est soigneusement tenue secrète, Louis XIV, assisté de son ministre Hugues de Lionne s’abritant derrière une intense propagande auprès de toutes les cours européennes.
En fait, Louis XIV exècre non la fonction papale, (nous ne sommes pas au XVIIIe siècle), mais, à titre personnel Alexandre VII, qui lui refuse une bulle contre les Jansénistes. La campagne va être menée de manière indirecte.
La cible des attaques, constituée par point faible de la papauté, est choisie, c’est la Garde corse du pape, une gendarmerie de huit cents hommes, qui assurent la sécurité dans les États Pontificaux, et dont deux cents sont présents à Rome même. Le Vatican dispose là de soldats fidèles et courageux, à la fois assez proches, de par leur origine, pour parler la langue commune, respecter spontanément les règles en vigueur, et dénouer les incidents quotidiens qu’ils doivent prendre en compte lorsqu’ils sont en service et assez lointains, en vertu des mêmes origines, pour ne pas se laisser impliquer dans toutes les querelles de voisinage ou les rivalités entre familles princières qui briguent la fonction papale pour un de leurs membres.
Par une politique de provocations savamment graduées, (« affaire des arquebuses », insultes, provocations, rixes, envoi sur leur chemin obligé d’un spadassin de haute volée qui les provoque en duel, puis tentatives réussies d’assassinat en groupe de soldats isolés), les valets (pas la garde officielle) du duc de Créquy, une suite amenée à cet effet, composée d’anciens militaires « qui sont tous allés aux guerres », vont provoquer une violente réaction des gardes corses. Le 20 août 1662, les plus bouillants d’entre eux, brisant la herse de leur caserne pour sortir venger leurs camarades assassinés, vont arquebuser la façade du palais Farnèse, siège de l’ambassade de France, puis, se répandant en ville pour s’en prendre aux Français rencontrés, et finir par tuer le page de Madame l’ambassadrice qui revient de ses dévotions.
Ce sera le début d’un long calvaire pour les gardes corses, dont certains, qui se savaient coupables, ou d’autres, qui craignaient les effets d’une justice aveugle, en fuite dans les États voisins, abandonnés par la papauté, seront emprisonnés, torturés pour obtenir des aveux, ou pendus. L’inscription portée sur la pyramide expiatoire érigée à Rome en 1664 à l’issue du traité de Pise, mentionne que les Corses sont déclarés indisciplinés et inaptes au service, tant à Rome que dans les États Pontificaux. (Après quoi, Louis XIV, ne répugna pas à ouvrir un régiment de Corses à son service).
Et la papauté fut elle-même contrainte de venir s’humilier à Paris en la personne de son représentant, le Comtat Venaissin ayant été saisi et l’armée française étant entrée en Italie. On sait depuis peu, et même s’il fit tout pour le cacher, que Louis XIV fut excommunié pour avoir envahi les États Pontificaux, mais, du moins sous cette forme, ce fut la fin de plusieurs siècles de service des Corses au service de la papauté.
L’affaire de la Garde corse du Pape, Marc Piazza, éditions Dutan, (roman historique), 458 pages, 37 euros.