Chaque année des milliers de pêcheurs de morues partaient en direction de Terre-Neuve, vers des mers froides et dangereuses.Durant ces longues campagnes qui pouvaient durer six à neuf mois, la maladie, les blessures, les noyades, l’hygiène déplorable, la saleté repoussante, la violence et l’alcoolisme étaient le lot quotidien de ces pêcheurs que l’on surnommait aussi les ?forçats de la mer?.
3 avril 1913, après avoir navigué pendant trente-sept jours, la goélette ?la Marie-Jeanne? et ses 28 hommes d’équipage arrivent enfin au large de Terre-Neuve? mais les poissons ne ?donnent? pas. L’absence de bancs de morues présage une mauvaise pêche et un maigre salaire? Les tensions montent. L’ambiance à bord s’échauffe?
Quand un matin, on découvre le corps inerte du second dans sa couchette, un couteau planté dans le dos? Autour du manche, un petit ruban de soie? Chabouté nous immerge avec brio dans les conditions de vie extrêmes de ces marins du début du XXe siècle et signe un thriller captivant et inquiétant.
Notre avis: Christophe Chabouté s’est imposé comme un maître de la bande dessinée par son style graphique puissant et son sens aigu du récit muet ou très peu dialogué. Avec « Terre-Neuvas », initialement paru en grand format et désormais disponible en édition « poche » (chez Glénat), il nous plonge dans un univers rude et captivant : celui des campagnes de pêche à la morue au large de Terre-Neuve au début du XXe siècle.
Une immersion saisissante dans un monde oublié
L’album nous embarque à bord de la goélette « la Marie-Jeanne » en février 1913, où 28 hommes s’apprêtent à affronter les mers glacées et les dangers de la pêche. Chabouté ne ménage pas le lecteur, le confrontant dès les premières pages aux conditions de vie extrêmes de ces « forçats de la mer » : hygiène déplorable, saleté, violence, alcoolisme, maladies… La survie est un combat quotidien, où la camaraderie côtoie la cruauté et la peur.
Le récit prend une tournure de thriller psychologique lorsque, après des semaines de pêche infructueuse, le corps du second est découvert, un couteau planté dans le dos. Cet événement macabre fait monter la tension à bord, transformant la « Marie-Jeanne » en un huis clos oppressant où chaque membre de l’équipage devient un suspect potentiel. Le ruban de soie trouvé sur le manche du couteau ajoute une touche de mystère et de poésie macabre à cette sombre affaire.
Le Noir et Blanc au service de l’intensité dramatique
Le style graphique de Christophe Chabouté est sans doute l’élément le plus frappant de « Terre-Neuvas ». Le noir et blanc, marque de faboute de l’auteur, est utilisé ici avec une maîtrise exceptionnelle. Les contrastes sont saisissants, les ombres profondes, et chaque trait semble chargé d’une force expressive immense. Le silence des bulles (ou leur rareté) laisse la place au dessin pour raconter l’horreur, la fatigue, la folie qui guette les hommes.
Les visages burinés des marins, leurs corps courbés par l’effort et le froid, les mouvements du navire ballotté par les vagues, tout est rendu avec une authenticité et un réalisme qui imprègnent le lecteur. L’ambiance est lourde, palpable, et le brouillard omniprésent des mers de Terre-Neuve participe à créer une atmosph atmosphère claustrophobe et mystérieuse.
Thèmes et portée de l’œuvre
Au-delà de l’enquête policière, « Terre-Neuvas » explore des thèmes universels :
- La survie en milieu hostile : Le combat incessant de l’homme contre la nature et contre lui-même.
- La condition humaine : La fragilité de l’existence, la solitude, la folie qui peut surgir dans l’isolement.
- Le huis clos et la paranoïa : La montée des tensions et la suspicion mutuelle lorsque la survie de chacun dépend des autres.
- La violence et ses origines : Les instincts primaires qui resurgissent dans des situations extrêmes.
L’édition « poche » rend cette œuvre majeure de Christophe Chabouté encore plus accessible, permettant à un public plus large de découvrir cette plongée viscérale dans les profondeurs de l’âme humaine et des océans. « Terre-Neuvas » est un récit puissant, visuellement époustouflant, qui marque durablement l’esprit du lecteur.
T.Youf
