Changer le monde ! Les « sixties », inscrites au panthéon des luttes sociales du XXème siècle, ont fait de l’affiche un vecteur privilégié des engagements politiques. Qu’en est-il au cours des décennies qui suivent ? Luttes anticoloniales et pacifisme, contestation sociale, culture de masse trouvent alors toujours un terrain d’expression avec l’affiche, qui se veut un art proche de tous, prisé des artistes, des commanditaires politiques et culturels et d’un large public. Des graphistes, marqués à des degrés divers par les pratiques militantes, s’en saisissent pour affirmer des convictions, à distance des circuits de la publicité. D’un pays à l’autre, leur production participe des grandes mobilisations politiques internationales, de la guerre du Vietnam à la dénonciation des dictatures latino-américaines et de l’apartheid. Changer le monde, cela peut être aussi travailler en collectif ou encore rechercher de nouveaux langages visuels.
Au cours des années 1980, la sensibilité écologique, pacifiste et anti-nucléaire rencontre les luttes des femmes, des chômeurs, des jeunes sans logement, des enfants qui n’ont pas encore de droits, des minorités. Mais le recours des partis et syndicats au graphisme créatif cède peu à peu le pas à une communication politique alignée sur les canons de la publicité. Si la commande publique, surtout culturelle et associative, demeure une ressource pour les graphistes, dans le même temps l’affiche change de statut : elle se donne moins à voir dans l’espace public. Le militantisme utilise d’autres canaux d’action.
A travers la production de graphistes actifs pendant ces deux décennies, moins étudiées que les années 1960, Internationales graphiques met à jour des réseaux,
des correspondances, des circulations dans les modalités d’engagements publics ou les styles graphiques. La perspective internationale, reflet des collections
de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine et de l’International Institute of Social History – sont ainsi exposées des oeuvres d’Henryk Tomaszewski, Roman Cieslewicz, Milton Glaser et Seymour Chwast du Push Pin Studio, Grapus, Alain Le Quernec, Claude Baillargeon, Zanzibar’t, Wild Plakken,
Klaus Staeck ou Gunter Rambow -, révèle des convergences, parfois inattendues, dans le positionnement des graphistes comme acteurs politiques et culturels.
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CIRCULATIONS GRAPHIQUES
Quelques grands courants artistiques s’imposent comme des références communes auprès des graphistes : le constructivisme russe, le photomontage de John Heartfield, le Bauhaus, puis l’op art et le pop art sont revisités par de nouvelles générations qui entendent investir autrement l’espace public. En Europe
comme en Amérique, 1968 a laissé sa marque et a entraîné un renouveau du matériel ordinaire des luttes : l’affiche politique a repris la rue, aux côtés des tracts, brochures et fanzines. La création graphique se nourrit alors des sciences sociales en pleine effervescence et investit des supports populaires, du magazine à la pochette de disque et au livre de poche. Mêlant art et politique, les images circulent d’un continent à l’autre. Grâce à des structures de diffusion comme la Organisation de Solidarité des Peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine (OSPAAAL), l’affiche aide au rayonnement de la révolution cubaine à l’étranger, tout comme les intellectuels européens invités à La Havane. Des revues telles La Pologne et Tricontinental contribuent aussi à la circulation de cette production graphique. Les expositions sont des incubateurs d’influences graphiques. Tandis que la biennale de l’affiche à Varsovie devient un rendez-vous professionnel
incontournable, les affiches de la révolution cubaine, suscitent un véritable engouement à travers l’Europe. En 1970, l’exposition « The Push Pin Style »
(musée des Arts Décoratifs, Paris) consacre le Push Pin Studio. Elle circule à travers l’Europe et fait des graphistes américains une référence incontournable,
synonyme d’anticonformisme. Les affiches culturelles polonaises des années 1950 et 1960 sont également une révélation dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis, la France et Cuba. Dans les années 1960 et 1970, attirés par cette production, des jeunes graphistes vont parfaire leur formation à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie. La leçon d’Henryk Tomaszewski marque toute une génération, parmi laquelle les Français Michel Quarez, Pierre Bernard, Gérard Paris-Clavel, Alain Le Quernec, Thierry Sarfis (Zanzibar’t), le Cubain Héctor Villaverde, et de nombreux autres étrangers.
MOBILISATIONS INTERNATIONALES
La guerre du Vietnam mobilise durablement l’opinion internationale. D’autres causes trouvent aussi un large écho : à l’occasion de la coupe du monde de football de 1978 en Argentine, les connivences entre compétition sportive et dictature militaire suscitent une campagne de boycott amplement relayée par les médias. Au cours de ces deux décennies, tandis que les marches pour la paix, contre le racisme et pour l’égalité ne faiblissent pas, l’appel au boycott de l’apartheid en Afrique du Sud donne l’exemple d’une mobilisation continue, jusqu’à la libération de Nelson Mandela en 1990. Le collectif de graphistes néerlandais Wild Plakken produit ainsi des affiches et du matériel de communication qui accompagnent les associations militantes jusqu’à la préparation des élections générales de 1994. Toute lutte de libération contre l’oppression, quelle qu’elle soit, peut être un motif d’engagement débordant les frontières : contre les dictatures latino-américaines, pour la cause palestinienne, pour la Révolution des oeillets au Portugal ou Solidarność en Pologne, pour le respect des droits de l’homme en Turquie ou au Sri-Lanka… En s’emparant des mêmes causes pour leur donner une traduction visuelle, les artistes produisent, transmettent et revisitent des signes graphiques qui se répandent à travers le monde : le chapeau conique vietnamien devient un symbole permanent de la lutte contre l’impérialisme américain ; le globe terrestre dit le souhait d’un meilleur sort pour l’humanité ; les mains et les bras se dressent ou se serrent pour signifier tour à tour la paix, la solidarité ou le stigmate du racisme ; la colombe de la paix, muselée chez John Heartfield ou encagée chez Klaus Staeck, devient capable de marcher chez Grapus et chez Seymour Chwast.
LES GRAPHISTES ET LA COMMANDE
L’engagement politique et social des graphistes se manifeste dans leurs pratiques professionnelles et leurs formes d’organisation. Des collectifs de graphistes se constituent, rejoignant des collectifs de peintres comme Equipo Crónica (Espagne) ou les Malassis, et expérimentant un mode de travail où l’individu s’efface derrière la signature commune : Grapus en 1970, Wild Plakken en 1977, Zanzibar’t en 1987. Qu’ils travaillent seuls ou en groupe, les graphistes veillent à se reconnaître dans les commandes qu’ils traitent, qu’elles émanent d’institutions publiques, de partis, de syndicats, ou d’associations. Militants ou sympathisants, ils construisent souvent avec leurs commanditaires politiques des relations de long cours, et affirment leur volonté de reformuler la commande pour mieux l’interpréter – quitte, parfois, à voir leur proposition initiale refusée. Les affiches ne s’en tiennent pas aux campagnes électorales ou aux mots d’ordres politiques ; elles abordent également les questions sociales telles que le logement, le chômage ou la place des femmes dans la société. L’affiche culturelle quant à elle, a toujours été un domaine de prédilection de la création artistique. En France, en Allemagne, aux Pays-Bas comme précédemment en Pologne, musique, cinéma et théâtre font régulièrement l’objet de commandes passées aux graphistes, par l’intermédiaire de villes ou de structures, telles le Centre de création industrielle à Paris, qui font de la culture un outil politique, convaincues qu’on peut changer le monde en le rendant beau et porteur de sens. Tandis que la commande politique tend à disparaître au fil des ans au profit des agences de communication, la commande culturelle, moins répandue qu’elle ne l’était au début de la période, continue d’être portée surtout par les associations et les structures indépendantes.
INFORMATIONS PRATIQUES
L’exposition est ouverte du mercredi 17 février au dimanche 29 mai 2016
Hôtel national des Invalides – Cour d’honneur
129, rue de Grenelle
75007 PARIS
Horaires
Ouverture tous les jours
Sauf les jours fériés et le 1er lundi du mois
10h – 17h (jusqu’au 31 mars 2016)
10h – 18h (à partir du 1er avril 2016)
Tarifs
Prix d’entrée : 5 euros
Tarif réduit : 3 euros
Accès
Métro
Invalides – Lignes 8 et 13
La Tour-Maubourg – Ligne 8
Varenne – Ligne 13
RER
Invalides – Ligne C
Bus
Invalides – Lignes 93, 83 et 63
Esplanade des Invalides : Ligne 69
La Tour-Maubourg : Ligne 28
Vauban – Hôtel des Invalides : Lignes 82 et 92
Parking Vinci sous l’esplanade des Invalides
Taxi La Tour-Maubourg