Actualités Bourgogne Pays basque

11-Novembre : combien de Français, aujourd’hui, vraiment, savent ce que l’on commémore, le 11 novembre ?

Le cérémonial est immuable : en ce 11 novembre matin, le maire, bardé de son écharpe, dépose une gerbe au pied du monument aux morts, en présence du conseil municipal, des anciens combattants, souvent des enfants des écoles et d’un public plus ou moins nombreux. Il en est ainsi dans les quelque 34.935 communes que compte la France. Cérémonial immuable depuis presque un siècle, puisque c’est entre 1920 et 1935 que furent érigés dans tout le pays 35.000 monuments aux morts.

Des métropoles aux plus modestes bourgades où ne vivent parfois que quelques dizaines d’habitants, parfois moins. Sans oublier celles, emblématiques, qui n’ont plus âme qui vive (sauf celle de la France éternelle, pour ceux qui y croient encore) : ces six communes de Lorraine, martyres de la Grande Guerre, complètement détruites au cours de la terrible bataille de Verdun en 1916. Citons-les : Beaumont-en-Verdunois, Fleury-devant-Douaumont, Cumières-le-Mort-Homme, Louvemont-Côte-du-Poivre, Haumont-près-Samogneux et Bezonvaux. Leurs noms fleurent bon la Lorraine de Jeanne.

On peut imaginer qu’en 1914, les villageois, qui allaient bientôt connaître l’enfer, vivaient dans ces villages, comme dans tous les villages de France : c’est-à-dire au même rythme que leurs grands-parents et arrière-grands-parents connaissaient sous le règne de Louis-Philippe, quelque soixante-dix ans auparavant (le temps qui nous sépare aujourd’hui de la chute de Điện Biên Phủ). À une époque où l’on ne changeait pas de meubles tous les trois ans en se rendant (ce verbe dans tous les sens du terme), le week-end, à une enseigne scandinave, la lourde armoire de la pièce commune de la ferme, où l’on rangeait le linge et les secrets de famille, si elle n’avait pas été héritée, avait été fabriquée dans le même bois, avec la même méthode, parfois avec les mêmes outils par le menuisier du bourg, que celle de la grand-mère, transmise à la cousine ou au frère aîné. Ainsi allait la France des campagnes d’avant la guerre de 14-18. En suivant le sillage ancestral, au rythme des animaux de trait.

Et puis vint le cataclysme. Le XXe siècle mécanique inventait la guerre industrielle à grande cadence et précipitait des millions de jeunes paysans – qu’on imagine vieux, parce qu’ils étaient nos grands-pères, nos arrière-grands-pères – dans cette usine gigantesque, dantesque, infernale.

« Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance,/Qui demeures aux prés, où tu coules tout bas./Meuse, adieu : j’ai déjà commencé ma partance/En des pays nouveaux où tu ne coules pas. » À travers ce poème de Charles Péguy, mort pour la France en 1914, c’est Jeanne d’Arc qui chante, en partant à la guerre. Ces millions de jeunes soldats, quittant leurs villages des quatre coins de France, auraient pu chanter ce même poème. Car, en France, il y a toujours, ou presque, une petite rivière qui coule, tout bas, non loin du village.

106 ans que l’armistice a été signé. Trois ans de plus que le temps qui séparait le 11 novembre 1918 du 18 juin 1815 qui vit la défaite de Napoléon à Waterloo. Le 12 mars 2008, Lazare Ponticelli, né le 7 décembre 1897 en Italie, dernier soldat français de 14-18, s’éteignait à l’âge de 110 ans. Sa ligne de vie croisa, durant deux mois, celle de Louis-Victor Baillot, né le 9 avril 1793 et mort le 3 février 1898. Louis-Victor Baillot était le dernier vétéran des guerres napoléoniennes et avait combattu à Waterloo. Symbole extrême de cette chaîne ininterrompue de la mémoire d’une France du temps long. Une chaîne menacée de rupture : usure du temps et des hommes, fatigue d’un vieux peuple qui n’en peut mais, tyrannie de l’immédiateté… Osons poser cette question : combien de Français, aujourd’hui, vraiment, savent ce que l’on commémore, le 11 novembre ?

Source : Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)
Photo -247eme régiment d’infanterie et son porte-drapeau le Servannais Alexandre-miniac durant la grande guerre

Laisser un commentaire