Joseph Kosinski avait su marquer les esprits avec son film précédent. En effet, rendre honorable le niveau du remake / reboot / on-ne-sait-plus-trop-quoi relevait de l’exploit cinématographique en ces temps de copies de photocopies filmiques. Il est clair que son Tron : Legacy respirait davantage le cinéma que le produit commercial. La prouesse était tout bonnement incroyable. Oblivion était donc attendu.
Oblivion pose, dès le départ et naturellement, quelques questions non pas sur les qualités intrinsèques du film mais sur son identité propre. D’abord, il est un film de Tom Cruise. Même si de nombreux cinéastes aux immenses qualités ont su offrir de bons rôles à l’acteur, force est de constater que la superstar arrive généralement à vampiriser les projets. On ne dit plus un film de (ajouter le réalisateur de votre choix) et avec Tom Cruise mais bien un film de Tom Cruise. Bien entendu, il ne faut pas être de mauvaise foi tant certains métrages de la star ont été initiés par de grands artistes (inutile de faire une liste exhaustive, tout le monde les connait), ni faire dans le poncif qui dirait que l’acteur américain fait dans l’extrême commercial afin de faire rentrer de l’argent dans les poches de la Scientologie.
Au delà de ces considérations sommes toutes quelque peu futiles, Oblivion, alors, intriguait réellement. Quel allait être le statut de ce métrage, entre « Tom Cruise project » et film d’auteur ? Ce dernier terme n’est pas usurpé. Oui, Joseph Kosinski est un auteur. Tron : Legacy l’annonçait brillamment quand on voit que derrière le produit calibré Disney se dégageait un réel sens de la mise en scène qui dépasse le cas de l’utilisation de la 3D. Oblivion le consacre bel et bien en tant que tel. La conception du film ne fait, d’ailleurs, que nous le rappeler. En adaptant son propre roman graphique, le cinéaste ne veut pas tomber dans le produit industriel, calibré et sans âme. Il souhaite monter un projet original et qui lui parle. Cela paraît simple mais une telle attitude est déjà énorme. Oblivion ne vaut donc que pour et par lui-même. Par contre, et c’est une petite remarque amusante et plutôt impertinente, s’il peut utiliser les mêmes armes qu’Hollywood pour faire grimper le budget, gonfler le marketing et toucher un maximum de personnes, il ne va pas s’en priver. Tom Cruise s’insère donc parfaitement dans cette logique. Petit malin, le réalisateur aurait tord de se priver de telles opportunités.
Oblivion ne se veut pas être un film de science-fiction comme les autres. Encore et toujours cette recherche d’identité. La peine n’a pas été perdue tant la patte de Joseph Kosinski est immédiatement reconnaissable. Après Tron : Legacy, le cinéaste est en train de s’installer comme quelqu’un à suivre, c’est indéniable. C’est d’ailleurs plutôt excitant pour le spectateur. Assister en direct à la naissance d’un cinéaste intéressant n’est pas chose commune. Avec sa mise en scène léchée, son jeu sur les décors et son enrobage musical (M83 aux platines), le spectateur arrive à cerner la personnalité du réalisateur. Ce sont d’ailleurs les mêmes techniques de représentation que son Tron. Nous les retrouvons, ici, avec un plaisir réel et sincère. Formé à architecture, Joseph Konsiski sait que la construction est un élément indissociable de la discipline artistique, que les éléments doivent être respectés et disciplinés s’ils veulent exprimer toutes leurs richesses.
Il va, par conséquent, arriver à modeler des plans de toute beauté que seuls les esthètes cinématographiques sont capables de produire. Bien entendu, certains ne seront pas réceptifs à une démarche qu’ils pourront trouver pompeuse, gratuite et condescendante. Il est vrai que le réalisateur essaie de lorgner vers de glorieux ainés, Stanley Kubrick en tête, et qu’il est difficile de rivaliser avec ces modèles. Néanmoins, il serait dommage de passer à côté d’un matériau aussi maitrisé. Il y a, chez lui, comme une construction mathématique dans l’élaboration d’une image. Tout est parfaitement millimétré, entre lignes de fuite ultra présentes, profondeurs de champ interpellées et parallélismes outranciers. Joseph Kosinski a bien appris ses leçons théoriques, cela est évident. Mais plus que cela, il arrive à donner ce petit quelque chose en plus à sa mise en image. Cette chose se passe dans le décor. Minimaliste à souhait, doté de petites touches rétro-futuristes, ou futuro-vintage c’est selon, le jeu avec les divers objets proposent une originalité de tous les instants.
Ce sont le design et l’architecture d’intérieur qui sont convoqués. Et qui font figure d’arts tant ils participent de la représentation. On retrouvait ces mêmes éléments dans Tron : Legacy. Oblivion confirme une chose. C’est que le réalisateur a envie de consacrer une certaine forme de fusion culturelle. Le cinéma classique n’est plus. Il faut le moderniser, l’élever, le pluraliser. Par la même occasion, le Sept ième Art rend compte de sa capacité à pouvoir absorber des sommes importantes de connaissances et de les recracher dans un superbe résumé. Il faut que cela soit bien fait. C’est, parfois, ici le cas.
Pourquoi parfois ? Parce que le métrage souffre de défauts qu’il est bien difficile de cacher sous silence. La mise en scène ne fait pas tout surtout quand elle peut apparaître clairement bancale. Ainsi, cette merveille de représentation ne se retrouve pas dans les moments extérieurs. C’est bien dommage, ce paysage désolé post-apocalyptique plutôt minimaliste lui aussi aurait pu être construit de la même manière avec quelques petits éléments discrets en supplément. Ce n’est, hélas, pas toujours le cas. Cette nouvelle Terre est plate, uniforme et sans réelle identité. Il ne faut pas, non plus, y voir une manière de diviser son film en deux tranches représentatives bien différentes car jamais on ne sent le réalisateur conscient et ayant la volonté d’atteindre une telle démarche, un tel discours. De même, ces éléments peuvent finir par lasser. Pourtant, la découverte d’un nouvel univers est toujours quelque chose de rafraichissant et d’excitant mais Oblivion n’est pas en mesure de provoquer de telles sensations. Bien sûr, le spectateur pourra toujours se délecter de quelques paysages, notamment de rivières, somptueux – normal, le tournage s’est déroulé en Islande – mais ne ferait-il pas, en étant de mauvaise foi, guide de voyage ? De même, il y a bien une scène d’action dans ce gouffre qui frise avec le genre quand des entités aux confins de l’invisible s’attaque à notre héros ou une représentation de l’ennemi intéressante qui redonnent un certain plaisir. Néanmoins, ce n’est clairement pas assez, ces éléments ne rattrapent pas le décalage d’avec les scènes d’intérieur qui apparaît bien trop grand.
Au delà des décors extérieurs, le véritable problème vient du fait que le film, lorsqu’il fait de l’exploration, tend à se concentrer abondamment sur Tom Cruise dans son petit vaisseau. Forcément, à ce niveau, la surprise n’est pas de rigueur tant ces moments font figure de fil conducteur. Surtout, c’est la première fois où l’on sent le réalisateur en proie aux diktats hollywoodiens. Il faut bien filmer la star en gros plan, le spectateur / fan doit en avoir pour son argent mais ces instants gâchent, en dehors de la forme des plus banales à ce niveau, notablement le rythme de l’ensemble. Il faut dire que cela manque, quand même, de piquant.
Ce dernier ne se retrouve pas dans la portée du film. Certes, il y a bien un humanisme certain qui innerve le métrage. Néanmoins, cette thématique reste bien l’une des pierres angulaires de la science-fiction. Rien de nouveau à l’horizon. De plus, la réflexion sur la condition humaine, si réflexion il y a, fait pâle figure comparée à celles disponibles chez les maitres-étalons du genre. Les moments de grandiloquence sur la nature de l’Homme et de ses possibilités sont pourtant présents mais les aboutissants sont tellement « faibles » qu’émotion et réflexion ont du mal à se combiner. Il faut alors se raccrocher à l’histoire d’amour pour rechercher ces stimulations. Il y a, clairement, possibilité. En donnée importante, la bande-son arrive à bien faire le boulot, M83 étant plutôt doué pour lorgner du côté mélancolique et épique. On arriverait presque à se sentir concerné. Hélas, tout ceci n’est pas possible en raison de la performance des comédiens et de l’écriture des personnages. La chose est bizarre, frustrante pour ne pas dire énervante.
En effet, on ne peut pas dire que les acteurs soient foncièrement mauvais mais ils livrent des performances typiques de leurs standings. Il faut ajouter que les protagonistes souffrent d’une identification bien archétypale. Voir Morgan Freeman en gourou / daron / protecteur de l’humanité fait presque sourire, Olga Kurylenko est plus à son aise sous la caméra de Terrence Malick, et Tom Cruise et bien, il fait du Tom Cruise. L’alchimie entre les deux derniers cités a, de plus, bien du mal à fonctionner, la faute a un réel problème de crédibilité. Tout est presque trop beau pour être vrai, trop linéaire dans le déroulement et finalement trop prévisible. Quant à la possibilité d’un trio amoureux, il faudra repasser tant cette situation est tirée par les cheveux.
Il faudra également passé sur les identifications des autres personnages qui ne servent qu’à faire les faire-valoirs aux stars. C’est dommage, une réelle plongée dans les arcanes de l’humanité avec des enjeux multiples et passionnants aurait pu être possible. Heureusement, et malgré tout, le film ne se fait jamais désagréable, loin de là, mais il ne faut pas non plus crier à l’extase cinématographique. Le spectateur se rend bien compte que ce qui intéresse Joseph Kosinski est bel et bien la forme, la mixité, l’hybridation. Comme avec son Tron : Legacy, il a plus de mal quand il s’agit de parler de relations humaines. Les thématiques sont pourtant présentes. Le cinéaste manque surement d’un peu de recul et de maturité pour pouvoir pleinement les exprimer à l’écran.
Oblivion en arriverait presque à décevoir. Heureusement, ce sont bien par les qualités plastiques que le métrage se regarde avec un minimum de passion. Ce n’est clairement pas suffisant pour entrer dans le panthéon de la SF. Cela l’est pour passer un agréable moment.
merci à Thibault Fleuret