De notre correspondant en Suisse.
«Aéroport de Ciudad Real, adjugé, vendu!» Voilà la phrase qu’un commissaire priseur devrait prononcer prochainement en Espagne: la vente marque l’échec d’un projet pharaonique en pleine zone peu peuplée
C’est l’épilogue d’un crash financier et économique: l’aéroport de Ciudad Real, à 200 kilomètres au sud de Madrid, va être vendu aux enchères prochainement. La mise de départ devrait avoisiner les 100 millions d’euros (120 millions de francs).
Située en pleine province de Castille-La Manche, la plate-forme aéroportuaire a été ouvert en décembre 2008 et comporte l’une des plus longues pistes d’Europe. Mais en deux ans d’existence, elle n’a jamais trouvé sa clientèle. Et voici un peu plus d’un an, elle a accueilli son dernier vol avant de fermer définitivement ses portes en avril 2012, deux ans après avoir été placé en liquidation judiciaire.
Le seul aéroport privé d’Espagne
Le chantier, totalement disproportionné pour une région aussi peu peuplée (la ville de Ciudad Real ne compte pas plus de 75’000 habitants) et éloigné des centres touristiques majeurs, avait coûté 1,1 milliard d’euros (1,3 milliard de francs). Lancé par un groupe privé, CR Aeropuertos, le projet avait bénéficié du soutien de banques régionales espagnoles.
Avant son ouverture, l’aéroport devait porter le nom d’aéroport Don Quichotte. Mais ses promoteurs avaient tenté de le rebaptiser Madrid-Sud, afin d’inciter les voyageurs et les compagnies à l’utiliser pour rallier la capitale. A la fin des années 1990, l’aéroport de Madrid-Barajas arrivait à saturation. La construction d’une nouvelle plate-forme pour le désengorger semblait s’imposer.
Vols low cost et piste pour l’A380
Cependant, le projet privé de Ciudad Real n’a jamais trouvé grâce aux yeux des autorités madrilènes, qui lui reprochaient son éloignement de la capitale. Le nom de Madrid-Sud avait même du être abandonné avant l’ouverture du terminal.
Et les incohérences du projet n’avaient pas de quoi rassurer: doté d’une piste de 4200m à même d’accueillir les plus gros porteurs actuels (dont l’A380), il visait pourtant les vols low cost à destination de Madrid.
Un tournage d’Almodovar
Au final, les infrastructures prévues pour accueillir 2,5 millions de passagers annuels auront à peine dépassé les 50’000 passagers en 2009. Quatre compagnies avaient pourtant tenté le pari: Air Berlin, Ryanair, Vueling et Air Nostrum. Mais toutes ont très vite jeté l’éponge devant le manque de clients potentiels.
Rapidement, le nombre de passagers s’est établi très loin des objectifs (53’557 en 2009 contre 750’000 prévus), et le nombre de vols a été réduit à trois liaisons hebdomadaires, comme l’expose ce reportage vidéo.
Le seul pic de fréquentation est intervenu en septembre 2012, alors que l’aéroport était déjà fermé: le cinéaste Pedro Almodovar était venu tourner son film «Les Amants passagers», dans l’aérogare désertée par les vrais passagers.
Une banque menée à la banqueroute
Avec 529 millions d’euros de dettes, l’aéroport est devenu le symbole des dépenses inconsidérées dont l’Espagne s’était fait une spécialité avant la crise. La fermeture de la plate-forme aéroportuaire a débouché sur la banqueroute de la Caisse d’épargne de Castille-La Manche, actionnaire à 68%.
Aujourd’hui, les 71 derniers salariés licenciés sont en attente de la vente aux enchères et espèrent être indemnisés au terme de cet épilogue. Les écologistes eux, crient au gaspillage: la zone sur laquelle l’aéroport est bâti faisait partie d’un espace protégé pour l’avifaune et les investisseurs avaient obtenu qu’il soit déclassé.