Une fois n’est pas coutume, il arrive qu’au milieu du déferlement de navets dont nous gratifie, souvent hélas à partir de fonds publics, le cinéma français comme francophone, une pépite vienne à émerger. Ainsi en va-t-il du petit film de Gilles Legardinier, réalisateur, et de Christel Hénon, productrice, sorti en novembre 2023 et passé alors — de notre point de vue, mais nous pouvons nous tromper —totalement inaperçu. Il faut dire que son titre Complètement cramé ! qui est aussi celui du roman publié par le même Gilles Legardinier n’évoque qu’assez peu ce qui fait le cœur de son in- trigue et n’invite donc pas forcément à la curiosité, précisément en raison du torrent de boue dont le cinéma français nous inonde continûment depuis de trop nombreuses années.
Il arrive aussi que le miracle vienne à se répéter et c’est ainsi qu’au hasard de la diffusion très wokeet toute arc-en-cielisée de la plateforme de streaming Netflix, nous sommes tombée sur ce petit chef-d’œuvre rafraîchissant porté notamment par deux acteurs de renom qui nous a littéralement enchantée et que nous recommandons vivement à nos lecteurs, s’ils ne l’ont pas encore vu.
Chef d’entreprise britannique brillant et francophile, Andrew Blake (John Malkovich) vient de perdre son épouse, Française. Totalement perdu, il décide de tout abandonner pour se rendre en France à l’endroit même où tous deux s’étaient rencontrés bien des années auparavant dans le cadre enchanteur d’un château et de son vaste parc, le domaine de Beauvillier. Un malentendu cocasse que nous ne dévoilerons pas ici va alors lui permettre de demeurer sur place auprès de la maîtresse du domaine, Nathalie de Beauvillier (Fanny Ardant), de moins en moins argentée depuis qu’elle aussi a perdu sa moitié.
Au cours de sa quête, Andrew Blake va rencontrer des personnages hauts en couleur : la propriétaire bien sûr, mais aussi la cuisinière Odile (feue Emilie Dequenne, foudroyée tout récemment par un cancer rare à l’âge de 41 ans), femme au caractère bien trempé ; l’intendant Philippe qui vit reclus au fond du parc et la jeune Manon, qui effectue quelques tâches ménagères au service du domaine. Andrew Blake va peu à peu reprendre goût à la vie mais ce ne sera pas le seul car tous sont victimes à divers degrés des vicissitudes de la vie. Précisons que c’est le château du Bois-Cornillé qui, situé en Ille-et-Vilaine, prête son très beau cadre à cette merveille attendrissante.
Si, à l’occasion de sa sortie en salle, ce film a reçu un accueil plutôt bon de la part du public qui lui octroya 3,6 étoiles sur 5 sur Allociné, il n’en aura pas été de même du côté des spéciaistes, cultureux autoproclamés, ne recueillant auprès d’eux que la note poussive de 2,4 étoiles ! Soit pas même la moyenne. Un tel décrochage entre ces deux avis ne pouvant qu’éveiller notre curiosité, nous avons donc décidé de creuser un peu le sujet, sans avoir cependant notre petite idée sur le motif de ce divorce entre l’avis du public et celui de la presse. Evidemment, nous n’avons guère été déçue.
Car si certains (Femme actuelle : 5 étoiles, Les fiches du cinéma, Public : 4 étoiles chacun) dont, heureusement, les professionnels de la critique cinématographique parviennent à rester neutres et par conséquent honnêtes quant à ce film vraiment différent et ô combien vivifiant pour nous, les habituels mousquetaires au service des causes garanties non “rances” n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Jugeons-en : La Voix du Nord qui attribue 2 étoiles y voit un « film prévisible et indolent qui souffre d’une ambiance trop ouatée ». En ce qui nous concerne, confrontée aux horreurs de toutes natures de notre quotidien dans la “France” de ce premier quart de siècle, nous avons particulièrement goûté la ouate de l’ambiance délivrée par ce petit chef-d’œuvre que, encore une fois, nous recommandons absolument à nos lecteurs. Mais le pire restait à venir : « Tout sonne faux dans ce film boursouflé de bons sentiments : les dialogues et les situations sont improbables, les jeux de mots et les gags lourdingues » délivre sans circonlocution Le Parisien. Le petit flic du Système ripoublicain doit sans aucun doute lui préférer les gags très 9.3 de nanars affligeants du style Opération Portugal. La preuve : il attribue à ce dernier qui ne vaut pas même le papier douloureux sur lequel le script a été enfanté, la note de 3 sur 5 ! Pour le quotidien Sud-Ouest, pas plus généreux que son confrère (la truelle ?), il s’agit « d’une comédie dramatique vieillotte ». Cela justifierait-il donc de ne lui accorder qu’une étoile alors que le critique reconnaît qu’elle est « pourtant portée » par deux acteurs de renom ? Pour le magazine Télé 7 Jours à qui l’on attribuera la palme de l’hypocrisie et qui n’accorde, lui aussi, qu’une seule étoile (minimum mini- morum), « la maladresse crève l’écran et l’on souffre sincèrement pour les comédiens, en roue libre (?). » Enfin, comme souvent en la matière, la palme de l’abjection revient à Télérama qui nous explique que : « Gilles Legardinier transpose à l’écran l’un de ses romans et signe une comédie poussiéreuse et poussive, voire gênante (sic !) »
Evidemment, nous aurons immédiatement pénétré le véritable motif de tant de fiel déversé sur une œuvre qui se veut simple et sans prétentions quoique correctement cadrée et remarquable- ment interprétée, et dont le caractère léger nous aura, précisément pour cette raison, transporté littéralement en d’autres temps. Des temps que nous regrettons et que nous paierions cher pour pouvoir revivre ne serait-ce qu’un instant. Le cadre, bucolique. L’ambiance, romantique et mélancolique. Les acteurs. Et la morale, d’une autre époque…
Une telle œuvre ne pouvait, bien sûr, qu’attirer sur elle la rancœur et le fiel de ceux qui chérissent la France, celle qui est appelée à effacer définitivement la France qui est nôtre. La deuxième bonne nouvelle — outre le film en lui-même — c’est que, trois jours à peine après sa première diffusion sur Netflix, Complètement cramé ! s’est classé deuxième du top 10 de la plateforme. Tout espoir n’est donc pas totalement perdu.
Céline Bardèche.