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CONRAD VEIDT Un acteur hanté de Berlin à Hollywood à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé.

Rétrospective exceptionnelle du 22 janvier au 25 février 2025

À la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

The Man Who Laughs de Paul Leni (1928) Courtesy of Park Circus Universal © Droits réservés

Peu connu du grand public, Conrad Veidt fait pourtant discrètement partie de la culture populaire. Cet acteur allemand incarne en 1924, le personnage de Gwynplaine dans L’Homme qui rit de Paul Leni, adapté de l’œuvre de Victor Hugo. C’est ainsi que deux jeunes dessinateurs, Bob Kane et Jerry Robinson, se souviendront de ce personnage mutilé par des trafiquants au niveau de la bouche pour lui infliger une grimace permanente. Le visage terrifiant de Conrad Veidt arborant un large rictus leur inspirera le personnage du Joker, l’ennemi juré de leur Batman.

Du 22 janvier au 25 février 2025, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé nous replongera dans la filmographie de cet acteur aux yeux immenses, au corps désarticulé et aux gestes ralentis qui incarne à lui seul l’expressionnisme allemand. Ouvertement antinazi au temps où Hitler monte au pouvoir, incarnant aussi le rôle d’un homosexuel dans l’un des premiers films sur l’homosexualité masculine alors qu’il n’était pas gay (Anders als die Andern / Différent des autres, réalisé par Richard Oswald en 1919), Conrad Veidt mérite, par ce qu’il a incarné et apporté au cinéma mondial, qu’on s’arrête quelques semaines sur sa carrière exceptionnelle.

Le Cabinet du Dr Caligari de Robert Wiene (1920) © Murnau Stiftung

Avec son rôle de Cesare, l’hypnotisé meurtrier dans Le Cabinet du Dr Caligari (1920), Conrad Veidt est devenu l’emblème de l’imaginaire cauchemardesque qui déferle alors sur le cinéma allemand, et que Lotte H. Eisner devait appeler l’Ecran démoniaque. Avec ce rôle et quelques autres tout aussi novateurs de la « procession des tyrans », Veidt devenait du même coup, à 27 ans, l’une des stars du cinéma européen si pauvre en visages, en corps expressifs, en jeunesse.

Les Mains d’Orlac de Robert Wiene (1924) © Filmarchiv Austria

Même s’il a connu brièvement l’enseignement du grand créateur de théâtre Max Reinhardt, c’est le cinéma qui a formé Conrad Veidt en tant que comédien. A la fin de la guerre, lors de l’effondrement du pays, l’industrie du film est ouverte aux improvisations, aux expériences. Veidt est happé par le suractif Richard Oswald. Producteur-réalisateur boulimique, celui-ci emploie à la chaîne une troupe de comédiens talentueux et désargentés, pour quelques dollars quotidiens échappant à l’inflation, dans des sujets brûlants ou polémiques qui fascinent le public : prostitution, homosexualité, avortement, maladies vénériennes… En quatre ans (1918-1921), Veidt est distribué dans dix-sept de ses films. Avec le grand F.W. Murnau, il en interprète cinq, dont un seul hélas est conservé (L’Entrée dans la nuit, 1921).

Der Reigen de Richard Oswald (1920) © Droits réservés

À la différence de ses amis Emil Jannings ou Werner Krauss, Veidt maintient une frontière stricte entre son image à l’écran et sa vie privée. Ses amis se souviennent d’un camarade sociable, à l’humour typiquement berlinois, dont la distraction préférée était le golf. Pourtant, ce fils de fonctionnaire impérial, incarnation du chic de l’entre-deux-guerres, est aussi un homme honnête et un antiraciste, un antinazi résolu. Quand il annonce que son prochain rôle sera celui du Juif Süss dans le roman historique de Lion Feuchtwanger (1925), rôle qu’il convoite depuis 1928, la presse aux ordres du Troisième Reich se déchaîne. Josef Goebbels se vengera du Jew Süss britannique (1934), voulu par Veidt et réalisé par Lothar Mendes, en produisant quelques années après sa propre version du Juif Süss(1940), un des pires films antisémites.

Conrad Veidt ne retournera plus en Allemagne. Naturalisé citoyen britannique, il met ses moyens financiers au service de la lutte contre l’hitlérisme. Les rôles que lui offrent Londres et Hollywood sont pour la plupart, selon les exigences de l’actualité, ceux de nazis, culminant avec son major Strasser dans le légendaire Casablanca de Michael Curtiz (1942). Encore un film après celui-ci et, à cinquante ans, il est frappé par une crise cardiaque pendant une partie de golf.

 

Texte de Bernard Eisenschitz

Les films seront accompagnés par les pianistes issus de la classe d’improvisation de Jean-François Zygel (CNSMDP) et de nombreuses séances seront présentées par des historiens et des critiques de cinéma.

SÉANCES EXCEPTIONNELLES

AUTOUR DU CYCLE CONSACRÉ À CONRAD VEIDT :

 

Vendredi 7 février à 17h30

Conrad Veidt. Le somnambule.

Conférence de Bernard Eisenschitz

 

Pour l’histoire du cinéma, Conrad Veidt est le somnambule du Cabinet du Dr Caligari. Mais, de 1918 à 1942, il a aussi raconté l’histoire de l’entre-deux-guerres : c’est encore un récit de somnambulisme où se croisent des maharadjahs, des marginaux rejetés par la société, Asta Nielsen, Richard Oswald et F.W. Murnau, Ivan le terrible et Raspoutine, le Juif Süss et les espions de Goebbels. Par ailleurs, Conrad Veidt était un acteur aux cent rôles.

Mardi 18 février à 19h30

Conrad Veidt – My Life (2019, 60 minutes)

Un film réalisé, écrit, monté et produit par Mark Rappaport

Présenté par Mark Rappaport

Narrateur : Alexander Graeff

© Droits réservés

 

Conrad Veidt – My Life est un film essai sur la vie et la carrière de Conrad Veidt, star du cinéma muet allemand après son rôle de Cesare, le somnambule du Cabinet du Docteur Caligari. Comme beaucoup d’autres artistes de l’Allemagne nazie, il s’enfuit en 1933. Il devient alors un acteur marquant du cinéma britannique mais lorsque l’Allemagne attaque Londres, il émigre aux États-Unis où il se retrouve bien souvent à jouer des nazis – un sort qui a frappé de nombreux acteurs allemands réfugiés. Conrad Veidt meurt d’une crise cardiaque sur un terrain de golf à Hollywood en 1943.

Depuis plus de vingt ans, Mark Rappaport écrit des fictions et des essais sur le cinéma. Plusieurs de ses textes, écrits pour la revue de cinéma Trafic, ont été publiés en 2008 dans le recueil Le Spectateur qui en savait trop (The Moviegoer Who Knew Too Much).

Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

73 avenue des Gobelins, 75013 Paris

http://www.fondation-jeromeseydoux-pathe.com/

Tarifs :

Billet couplé 1 séance de cinéma + accès aux espaces d’exposition :

Tarif plein : 7 € ; Tarif réduit : 5,50 € ; Moins de 14 ans : 4,50 €

Carte 5 places (valable 3 mois) : 20 €

 

 

Casablanca de Michel Curtiz (1942) © Courtesy of Warner Bros. Pictures

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