Dans les sixties flamboyantes, Roger Moore démarre à la télévision, avec Ivanhoé, série dans laquelle il est plus Neuneu que Noé. Puis celle du Saint, inspirée par les livres du très agréable Leslie Charteris, dans laquelle, à défaut de faire des étincelles, il décroche au moins une certaine renommée internationale. Ensuite, Amicalement vôtre, feuilleton tout aussi aimablement crétin, qui permet à son alter ego, Tony Curtis, de relancer sa carrière tout en aidant celle de Roger Moore à prendre enfin son envol et de se glisser dans le tuxedo si convoité de l’agent 007.
Le problème est que de tout cela, Roger Moore n’a que foutre. Dans ses mémoires éminemment hilarants, Amicalement vôtre, il se présente, d’une plume alerte, comme le touriste de sa propre vie. Exemple au hasard ? En pleine guerre froide, il est invité à une soirée aussi mondaine que californienne, là où des starlettes névrosées et des producteurs au bord de la faillite décident de convoquer une assistance un brin alcoolisée à prier en rond pour la paix dans le monde et la victoire finale contre les communistes assassins ; avec soucoupes volantes de Martiens bolcheviques en toile de fond.
Roger Moore s’invite à la ronde, priant, lui, pour que la prière s’arrête enfin, juste histoire d’aller vider, en paix, son douzième scotch et allumer un autre cigare.
Éric Leguèbe, l’un de mes défunts vieux amis et ancien critique cinématographique du Parisien, du temps où ce dernier était encore « libéré », se faisait une joie d’assister aux conférences de presse de ce James Bond d’un genre nouveau.
Permettez-moi de citer la chose de mémoire.Question : Quelle dimension psychologique mettez-vous dans l’interprétation du héros créé par Ian Fleming ?
Réponse : Parfois, je peux mettre un smoking noir. Mais aussi, un jour d’audace, un smoking blanc.
Autre question : Et votre interprétation dans ce même rôle ?
Autre réponse : Voilà qui est fort intéressant… Vous avez raison et pour donner plus de profondeur à ce personnage, il m’arrive parfois de cligner de l’œil droit. Mais il peut également m’arriver de cligner du gauche.
Dernière question : Quel sens donnez-vous à votre carrière ?
Ultime réponse : Par principe, je choisirai toujours de jouer dans un nanar grassement payé au soleil des Caraïbes, que de participer à un possible chef-d’œuvre tourné en plein hiver à Varsovie.
Il est un fait que la carrière du défunt, à force de navets dans lesquels il montra une tête de play-boy aussi expressive qu’une courge, a tout du potager. Il en est un autre que cet acteur au talent des plus limités fit aussi le bonheur de ceux qui, jadis, étaient encore un peu jeunes. Époque durant laquelle 007, agent au service de Sa Très Gracieuse Majesté, pouvait boire des liqueurs d’homme comme s’il en pleuvait, tirer sur des havanes comme si sa vie en dépendait, tout en multipliant ces blagues sexistes qui, de nos jours et en nos contrées, vaudraient à tout un chacun bagne et galères. Oh… James !
Il n’empêche qu’à l’occasion de Vivre et laisser mourir, de Guy Hamilton (1973, et sublime bande sonore originale de Sir George Martin et Sir Paul McCartney), ce fut la première fois que l’agent 007 emmena une actrice noire (très gironde Gloria Hendry) au septième ciel ; audace qui valut à ce film d’être interdit en Afrique du Sud. Tout comme, dans Les Oies sauvages (1978), sous la houlette du vétéran Andrew McLaglen, il critiquait la politique d’apartheid de manière délicate, subtile et autrement plus pertinente que les aboyeurs antiracistes d’alors.
Pour le reste, ce gentleman, sexuellement maltraité durant sa prime jeunesse, mit le beaucoup d’argent et le reste d’énergie lui restant à défendre, en tant qu’ambassadeur de l’UNICEF, les plus démunis qui puissent être : les enfants malheureux.
Roger Moore, le meilleur des James Bond ? Non, loin s’en faut. Mais le meilleur des hommes ? Oui, à n’en point douter. « Alors, commander, votre vodka Martini, à la cuillère ou au shaker ? Servi au bar, sur le canapé ou directement au lit ? » « C’est vous qui voyez, My Lady », aurait sûrement répondu celui qui fut, à l’évidence, le plus élégant et nonchalant des anciens capitaines de la Royal Navy.
À la tienne, mon Roger !