L’auteur retrace la douloureuse époque des tueries commises par les Brigades Rouges au début des années 80. Giorgio Fontana situe le début de son écrit à l’été quatre-vingt-un, l’année de sa naissance. Il ne s’agit, donc, pas d’un récit autobiographique mais d’une pure fiction réalisée à partir de sources historiques. Des mouvements identiques ont défrayés la chronique en France et en Allemagne mais dans une moindre mesure tant les exécutions ont été nombreuses en Italie. Pour l’auteur, il ne s’agit pas seulement de raconter l’histoire d’un juge mais aussi celle de son père qu’il n’a jamais connu. Il sait de lui qu’il a été résistant pendant la Seconde Guerre mondiale.
Quand il rejoint le parquet de Milan en tant que substitut du procureur, Giacomo Colnagui n’a pas encore fêté son quarantième anniversaire et pourtant poursuit une carrière exemplaire malgré son extraction sociale très populaire. Il hérite du dossier brûlant des terroristes intérieurs. Il décide alors de travailler avec deux autres juges de manière à être plus efficace et plus réactif. Giacomo aime son métier et développe une forte empathie pour les victimes de ces assassinats.
Son camarade de promotion le taquine en prétendant qu’il aurait dû être prêtre au lieu de juge et que c’est sa foi qui le fait agir ainsi. Très catholique et très pratiquant, il ne s’endort jamais avant d’avoir prié. Son autre ami, libraire, a divorcé et Giacomo ne peut accepter cette situation. Il n’a pas honoré son épouse depuis sept mois mais, jamais au grand jamais ; il ne pourrait accepter cette séparation légale. Il sent que les liens se distendent entre lui et sa femme tout comme avec son fils.
Il fait pourtant de son mieux quand il quitte Milan les week-ends au volant de sa Fiat Ritmo pour rejoindre sa famille et sa mère. Paradoxalement, il se sent bien à Milan dans son petit logement situé dans un quartier ouvrier de la ville, fervent catholique il apprécie aussi des gens humbles qui jouent aux cartes dans les cafés. Le premier brigadiste qu’il reçoit dans son bureau le surprend. Comment un jeune bien éduqué et qui a suivi le patronage peut-il basculer dans la violence sanguinaire, cela reste, pour lui, une énigme.
Ce livre représente aussi une ode à la langue bien écrite, voire délicatement ciselée et très bien traduite avec des phrases comme «des nuages blancs et gris tourterelle » ou « la boulangère qui chante en buvant un Campari». Ce roman se lit avec, à chaque reprise, avec le même plaisir tant cet homme heureux reste simple et attachant avec son côté très catholique et avec cette volonté de mettre un peu de paix dans une société aussi violente.
Un très beau roman, magnifiquement écrit et d’une grande humanité
320 pages, 21 €
Format 20,5 x 14
Seuil Cadre Vert
Traducteur François Bouchard
Dominique LE FUR
dl@infos-75.com
Interview Giorgio Fontana
Avez-vous écrit votre livre avec une machine à écrire Olivetti Lettera 22 ?
« Non », réponds Giorgio Fontana amusé, « pas comme le juge. J’ai utilisé un traitement de texte ». (Notons à ce propos que cette lettera 22 vaut une vraie fortune sur eBay).
Comment avez-vous choisi le thème de Brigades rouges ?
« Tout a commencé avec mon premier roman paru également aux éditions du Seuil. J’avais écrit sur ce personnage du juge Giacomo Colnaghi et le jour de sa mort, comme s’il s’agissait d’un destin, je me suis dit que ce magistrat méritait quelque chose en plus. Il a continué à frapper à ma porte comme personnage et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de le suivre et de lui dédié ce nouveau livre. Giacomo m’a fait choisir ces années-là avec les Brigades rouges et pas le contraire ».
Est-ce que Gomorra peut vous inspirer pour votre prochain ouvrage ?
« Gomorra appartient à la catégorie du reportage narratif. Il part de faits réels et aborde le thème de la mafia napolitaine. Avec la Mort d’un homme heureux je suis dans un registre complètement différent ».
Selon vous, l’Italie restera-t-elle une terre de violence et d’arrangements mafieux ?
« Même si des mouvements sociaux très importants subsistent, ce phénomène de violences de Brigades rouges n’existe plus ce qui a permis à l’Italie de grandir. Il s’agit d’une histoire qui a duré presque 30 ans et qui a démarré dans les années 70 avec des grandes blessures. D’ailleurs, l’expression « années de plomb » ne convient pas car des choses très positives se sont produites et l’Italie a bénéficié de transformations extraordinaires. Le seul problème qui subsiste, c’est la différence tragique entre le Nord et le Sud du pays. Le Sud a toujours été plus pauvre. Cette situation date de l’unification de l’Italie au milieu du 19ème siècle et c’est à ce moment que les mafia se sont répandues dans tout le pays, mais maintenues dans le Sud ».
A un moment du livre vous citez un pompiste amoureux de sa Lancia Flavia et Giacomo n’a le droit qu’a une Fiat Ritmo.
Giorgio Fontana part alors d’un grand rire et explique : « Giacomo reste quelqu’un de très simple et ne pouvait pas avoir une grand voiture, c’est pourquoi il roule en Ritmo… »
Rinetta, la boulangère qui chante en buvant un Campari, vous l’avez vu ou s’agit-il d’une création ?
« Je ne l’ai pas vu mais ça peut arriver dans un petit village ou dans une ville. C’est donc quelque chose qui peut exister et que l’on peut voir ».
Quel sera votre prochain roman ?
« C’est encore un peu tôt pour en parler mais il s’agira d’un roman très différent qui n’abordera pas le thème de la justice. L’histoire traitera de l’amour, un peu désespéré avec la ville de Milan qui restera très présente parce que c’est une ville que j’aime bien raconter. Il gardera le même nombre de pages que Mort d’un homme heureux mais je travaille aussi sur un ouvrage de 700 ou 800 pages… »
Entretien DLF