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Lire:Les Allemands des Sudètes de Pierre Brouland

« Des milliers d’Allemands furent expulsés de leur domicile, emprisonnés dans des camps de fortune, envoyés à pied vers l’Allemagne ou l’Autriche, victimes de nombreuses exactions et massacrés par centaines. Loin d’être spontanées,ces violences étaient voulues et planifiées par le gouvernement tchécoslovaque »

Entretien avec Pierre Brouland, auteur de Les Allemands des Sudètes (éditions Dualpha)

(propos recueillis par Fabrice Dutilleul)

Qui étaient les Allemands des Sudètes ?

Pour les Français, les Allemands des Sudètes ne sont connus en général qu’à travers l’épisode des accords de Munich. Nos compatriotes ignorent en général tout de leur histoire et de leur destin. Le terme « Allemands des Sudètes » est lui-même assez récent. Il apparaît au début du XXe siècle pour désigner la minorité germanophone vivant en Bohême et en Moravie. La présence des Allemands dans les Pays tchèques est ancienne, et remonte au Haut Moyen Âge même si elle se développe surtout après les années 1150. Les rois de la dynastie des Prémyslides firent appel à des colons allemands pour mettre en valeur leur royaume. De la fin du XIIIe siècle jusqu’en 1945, les germanophones représentèrent environ un tiers de la population de Bohême et de Moravie. Les relations entre Tchèques et Allemands furent longtemps pacifiques. Nulle part en Europe, la rencontre entre les cultures slave et germanique n’apparut aussi féconde. Les relations entre les deux communautés commencèrent à se dégrader à partir de la fin du XVIIIe siècle. Le renouveau de la langue tchèque durant les années 1780 se traduisit par l’affirmation du caractère slave des Pays de la couronne de Saint Venceslas, ce que les germanophones refusèrent car pour eux l’identité allemande de ces territoires constituait une donnée allant de soi. Les relations entre les deux communautés prirent une tournure de plus en plus conflictuelle à partir des années 1870. Se voyant comme une minorité menacée, les germanophones développèrent dès cette époque un discours séparatiste en réclamant la division Bohême en districts germanophones, « tchécophones » et mixtes. La création de la Tchécoslovaquie en 1918 fut très mal vécue par les germanophones qui ne trouvèrent jamais leur place dans le nouvel État. C’est pourquoi ils soutinrent massivement le parti de Henlein à partir de 1935. Si Henlein au départ était plutôt un autonomiste, il se « nazifia » durant l’année 1937 et finit par réclamer le rattachement des régions habitées par les germanophones au Reich, ce qui aboutit aux accords de Munich.

Comment germa l’idée d’expulser la minorité germanophone ?

Pour les Tchèques, les Allemands des Sudètes s’étaient comportés comme une cinquième colonne. Dès 1937-1938, des plans visant à les expulser furent élaborés. Néanmoins, c’est seulement lorsque la guerre éclata et que Beneš à partir de juillet 1940 prit la tête d’un gouvernement en exil, que le projet d’expulsion des Sudètes commença à prendre vraiment forme. Pour le gouvernement tchécoslovaque, le premier objectif consistait à convaincre les Alliés, à commencer par les Anglais, du bien-fondé de l’opération. Or, ces projets massifs de transfert de population reçurent au départ un accueil assez mitigé. Les Anglais avaient certes dès la fin de l’année 1940 envisagé de redéfinir la carte de l’Europe centrale pour mettre fin aux problèmes liés aux minorités nationales. Cependant, l’expulsion massive des Sudètes avait été considérée comme une opération complexe et peu souhaitable. En février 1942, lorsque le gouvernement tchécoslovaque en exil adressa une note au gouvernement anglais pour se prononcer sur le projet d’expulsion des Sudètes, le Foreign Office observa un long silence. Ce fut la terrible répression consécutive à l’exécution de Heydrich, le « Protecteur » du Reich, qui convainquit finalement Londres en novembre 1942 de donner son accord, mais pour une expulsion limitée aux Sudètes qui avaient soutenu le parti nazi, dont le nombre fut fixé plus ou moins arbitrairement à la moitié de la population germanophone, soit environ 1,5 million de personnes. Les Américains au printemps 1943 et les Soviétiques en décembre 1943 finirent avec réticence à se rallier à ce projet.Beneš, contrairement à ce qu’il a écrit dans ses Mémoires, était déterminé à expulser la quasi-totalité de la population germanophone. Face aux réticences des Anglo-saxons, il était déterminé à passer en force et à placer les Alliés devant le fait accompli.

Comment se déroulèrent les expulsions ?

Traditionnellement, on distingue deux phases dans les expulsions : les « expulsions sauvages » durant le printemps et l’été 1945 et les « expulsions organisées » tout au long de l’année 1946.

Les expulsions sauvages se déroulèrent dans un climat d’extrême violence. Jusqu’à une date récente, on les présentait comme une réaction spontanée de la population à une longue période d’occupation – rappelons à ce sujet que Prague fut la première capitale occupée par la Wehrmacht, dès mars 1939, et la dernière à être libérée. Sur le sol tchèque, les ultimes combats ne prirent fin que le 12 mai 1945. Dès la Libération, des milliers d’Allemands furent expulsés de leur domicile, emprisonnés dans des camps de fortune, envoyés à pied vers l’Allemagne ou l’Autriche, victimes de nombreuses exactions et massacrés par centaines. Loin d’être spontanées, ces violences étaient voulues et planifiées par le gouvernement tchécoslovaque. Cette phase s’acheva officiellement en août 1945 avec la conférence de Potsdam, où les vainqueurs de l’Allemagne décidèrent de prendre en main le processus d’expulsion.

Durant l’année 1946, près de deux millions de Sudètes furent transférés, après avoir été dépouillés de presque tous leurs biens vers une Allemagne en ruines. À l’issue de ces transferts, il ne restait presque plus d’Allemands. Au cours des années 1947-1948 environ cent à cent cinquante mille Allemands furent encore expulsés.

Combien de victimes ?

Le nombre de victimes reste très difficile à évaluer. Les autorités tchécoslovaques se sont longtemps refusées à établir le moindre décompte. À la fin des années 1940, dans les milieux sudètes, on établissait le nombre de victimes à plus de cinq cent mille. Par la suite l’Office fédéral des statistiques, au milieu des années 1950, donna un chiffre de 220 000 à 250 000 morts survenus durant les expulsions. Après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, une commission mixte germano-tchèque donna une évaluation de 20 000 à 30 000. Ce chiffre semble cependant très sous-évalué. Des travaux plus récents établissent le nombre de victimes à environ 150 000.

Les Allemands des Sudètes de Pierre Brouland, éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa, 400 pages, 33 euros.

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