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L’abécédaire de Paris dans la Grande Guerre

A l’occasion des commémorations de la Première Guerre Mondiale, voici un petit voyage dans le Paris de 14-18, de A comme armistice à Z comme Zeppelin.

Manon Pignot, maître de conférence à l’université de Picardie, publie « 1914-1918 : Paris dans la Grande Guerre » (Editions Parigramme). Un ouvrage qui se distingue par une double originalité dans le déferlement de publications sur ce sujet : s’en tenir à la capitale, tirer sa substance des photographies d’époque.

A l’arrivée, cela donne un aperçu sensible, parfois cocasse, toujours bien senti, de ce que fut la vie des Parisiens pendant ce moment de bascule qui devait accoucher du XXe siècle.

  

Première journée de mobilisation à Paris. Bureau de recrutement du Boulevard Poniatowski, le 2 août 1914 (© Caudrilliers / Excelsior – L’Equipe / Roger-Viollet)

 

Armistice

L’ordre alphabétique est facétieux, qui nous fait commencer par la fin. Le 11 novembre 1918 à 5 heures du matin, l’Armistice est signée avec l’Allemagne dans le wagon de Rethondes. Dès 11 heures, le canon, les sirènes des usines et les cloches des églises retentissent dans toute la ville pour signaler son entrée en vigueur. Les rues sont envahies par une foule en liesse. Les têtes tournent. Hommes et femmes s’embrassent et dansent sur le pavé. Il y a des chants, des larmes, des rires, un délire immense s’est emparé de Paris. Les enfants mêmes sont de la fête et trinquent avec les soldats. Les places, les boulevards, les grands axes sont combles. C’est la victoire. Mieux: c’est la fin de la guerre. Les Parisiens oublient dans la fête quatre années de peur, de deuil. Et de haine.

 

Boches

1914. Dans les heures qui suivent la mobilisation générale, le patriotisme tourne à l’aigre. Les hommes vont partir, etcontrairement à la légende, ils n’y vont pas la fleur aux fusils. C’est dans un mélange d’inquiétude et de résignation que débute cette campagne, explique Manon Pignot.

Mais le premier mouvement est de colère. Les commerces dont les enseignes ont une consonance germanique sont caillassés et pillés. Les laiteries de la firme suisse Maggi – accusée depuis des mois par « L’Action Française » de servir de faux nés à l’espionnage allemand – sont dévastées. Très vite, des commerçants dont le patronyme peut prêter à confusion prennent des précautions. Sur une vitrine, on trouve tel brevet de patriotisme : « Russe. Deux frères mobilisés en Russie pour casser la gueule aux Allemands. » Sur la devanture de cet herboriste, trois mots qui ne laisse planer aucune abiguité : « On les aura »

D’ailleurs, les commerçants auront tôt fait de tirer profit de la guerre. Sur des brodequins ont trouvent de nouvelles réclames destinés aux conscrits : « Pour la marche, pour les bords du Rhin ». A Noël, les Galeries Lafayettes proposent des colis-étrennes pour améliorer le sort des poilus. Les magasins de jouets ne sont pas en reste puisqu’on peut y trouver des chars, des canons, des spahis miniatures et même un étonnant « jeu de l’oie renouvelé des boches ».

 

Canonnières

  

Dès la mobilisation en août 1944, le paysage parisien change. Les rues fourmillent bientôt d’hommes en uniforme. L’organisation ferroviaire du pays fait de Paris une véritable plaque tournante par où transitent les flux d’hommes et de marchandises qui vont alimenter le front. Pour accueillir tout ce beau monde, il faut de la place. Ainsi, le Grand-Palais est militarisé. Les recrues y reçoivent armes et équipements avant de s’exercer. Bientôt, le musée devient également un hôpital de 1200 places.

L’hôtel Astoria accueille quant à lui des ambulances militaires tandis que le luxueux restaurant du Pré-Catelan s’est mué en hôpital. De même, des écoles deviennent des dortoirs pour les permissionnaires et les Berges mêmes prennent des allures martiales puisqu’on y voit glisser à l’occasion des canonnières, des sous-marins ou des péniches ambulances.

 

Gueules cassées

Les blessés sont nombreux à revenir du front pour être soignés à Paris. Le Val-de-Grâce est notamment l’un des principaux lieux d’accueil pour les « gueules cassées ». Au total, ils seront comme cela 15 000, défigurés, masqués, reconstruis par les chirurgiens, à promener dans la France d’après-guerre des mines impossibles. Clémenceau décidera même de faire signer l’Armistice en présence de cinq d’entre eux. Leurs visages suppliciés justifieront tous les excès du Traité de Versailles.

 

Insoumises

On les appelait les « filles insoumises ». Entre 1914 et 1918, leur nombre explose à Paris. Vu d’aujourd’hui, on pourrait penser qu’il s’agissait de jeunes femmes profitant de l’absence de leur pères, frères, époux partis au front pour s’émanciper. La réalité est moins rose.

Le terme de filles insoumises désigne toutes ces femmes  pratiquant la prostitution sans être logée dans une maison de passe, sans être fichée par la police et ne se trouvant donc pas soumise aux visites médicales obligatoires attachées au statut de prostituée.

La pratique prostitutionnelle connait un développement considérable à Paris, écrit l’historienne Manon Pignot. Celle-ci se concentre aux abords des gares de l’Est et du Nord. Puis vient le quartier latin. Enfin les fortifs, où se développe une prostitution particulièrement miséreuse. Cette souffrance des femmes est bien souvent ignorée. Les larmes des hommes ne sont pas toujours connues non plus.

 

Larmes

 

Départ de la classe 1918: Ce jeune homme, mobilisé tout à la fin du conflit dit adieu à sa mère, sous le regard de son père, qui semble mesurer le tragique de la situation © BNF

 

C’est l’un des aspects les plus intéressant de ce livre. Manon Pignot parvient, grâce aux images, à ces instantanés pris sur le vif, à saisir la peine qui prend les familles, l’émotion et la gravité qui étreignent bourgeois comme prolétaires au moment de la mobilisation.

 

Et puis il y a cette photographie d’un homme, un ouvrier, en casquette, Gare de l’Est. Il sert son bébé et sa femme dans ses bras. C’est un père, un citoyen qui part pour la guerre. Le photographe se déplace, l’angle change, une seconde est passée. On retrouve le même homme, le nez enfoui dans le cou de son enfant, les yeux fermés : il pleure. En public, dans la rue. Les digues ont cédé. L’historienne souligne justement ce surgissement de « la détresse masculine dans l’espace public », qui correspond si peu aux mœurs du temps. Qui raconte si bien la douleur d’une guerre qui va faire 9 millions de morts et 8 millions d’invalides dans une invraisemblable boucherie.

 

 

Munitionnettes

Dès 1914, les hommes ayant abandonnés emplois et fonctions pour gagner le Front, les bras manquent à la campagne comme dans les usines. Au mois d’août, le Président du Conseil lance donc un appel aux femmes françaises pour la moisson, sorte de mobilisation civile qui va permettre de sauver les récoltes.

Pour l’industrie, les femmes sont appelés en dernier recours, après que l’Etat a fait appel à l’immigration et à des soldats versés dans le service civile. Finalement, ce sont tout de même 400 000 femmes qui vont travailler dans les usines de guerre. Entre 1914 et 1918, la main d’œuvre féminine connait ainsi une croissance de 20%.  Celles qui se font appeler les « munitionnettes » expérimentent ainsi des emplois dangereux. D’autres reprennent les emploi laissé vacants par leur époux, pour devenir boulangère, contrôleuse dans le métro ou conductrice de tram. Toutes démontrent leur valeur et leur courage à l’encontre des préjugés du temps.

 

Planqués

Paris rencontre bien évidemment des problèmes de ravitaillement, souffre de bombardements et de deuils. Mais il faut aussi le dire : la vie continue comme avant-guerre. Certaines franges les plus favorisées de la population mènent toujours une existence oisive et insouciante, entre le café de la Paix place de l’Opéra et l’Avenue des Acacias au Bois de Boulogne. On va au spectacle admirer Sarah Bernhardt ou Réjane, on joue au tennis (mais plus à Saint-cloud, le Tennis Club de Paris étant devenu un hopital), on s’amuse des aventures de Zigomar ou de Fantomas dans les cinémas.

Aussi, quand les soldat en permissions débarquent à Paris, le choc est rude. La jeunesse dorée de la capitale continue à s’adonner à une vie de plaisirs et de loisirs. Le poilu verse son sang pour la patrie. Après guerre, des mouvement sociaux éclateront dans la capitale et seront rudement réprimés.

 

Tonkinois

 

Moins exotiques que les soldats venus des colonies, les carabiniers italiens remportent tout de même un joli succès © BNF

 

Parmi ces photographies qu’auscultent l’historienne Manon Pignot, il en est également d’amusantes, comme celle qui nous montre deux titis typiquement parisiens en arrêt devant un soldat venu du Tonkin qui monte la garde devant la station de radio du Trocadero. Au début du siècle, Paris est certes une ville cosmopolite. Mais les régiments coloniaux qui parviennent des quatre coins du monde donnent un parfum d’exotisme jamais vu aux rues de la capitale. Pour la plus grande joie des enfants.

Soldats Sikhs, tirailleurs sénégalais, spahis d’Afrique du Nord, ils sont tous là, en partance ou en permission, comme les Tommies anglais ou les Sammies (les fils de l’oncle Sam) américains. Ces derniers, avec leurs visages glabres et leurs soldes coquettes font également rêver les parisiennes. Quand aux soldats russes, moins nombreux, ils surprennent les passants avec leurs longs manteaux et leurs toques de fourrure. Après la Révolution d’Octobre, leur séjour sera strictement réglementé, les autorités craignant qu’ils contaminent les esprits hexagonaux de leur idéologie bolchévique.

 

Zeppelin


Bombardements à Paris (© BNF)

Paris se trouve certes loin du Front, mais n’est pas épargnée pour autant. Aujourd’hui, on ne s’en souvient guère. Il faut dire aussi que les bombardements de la seconde Guerre Mondiale, beaucoup plus dévastateurs, ont largement occulté ces raids de l’armée allemande qui coutèrent tout de même la vie à 600 Parisiens.

Tout commence en 1914 avec le survol de monoplans qui lancent des bombes et tirent des banderoles censées ruiner le moral des habitants de la capitale. On peut par exemple y lire :  » Parisiens rendez-vous, les Allemands sont à vos portes ». Bientôt, les Zeppelins prennent le relais et incarnent pour longtemps cette menace en altitude. Les canons, et notamment la légendaire grosse Bertha seront pourtant les plus meurtriers.

Les Parisiens prennent donc l’habitude de descendre aux abris et en 1917, face à la recrudescence, les autorités fourbissent même un projet de faux Paris, une ville leurre illuminée qui attirerait loin des avenues et des boulevards sous couvre-feu les engins de morts de l’armée allemande.


 

 

source Mairie de Paris //Photo BNF image à la une

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