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Cannibalisme et communisme dans la Chine des années 60

L’affaire, ces derniers jours, du cannibale de Miami ne peut se réduire à une potacherie geek sur le début de l’apocalypse zombie. Si ce fait divers a suscité un buzz aussi important c’est parce que le cannibalisme, dans une société civilisée, est tabou. Seuls quelques psychopathes tueurs en série s’y adonnent : Jeffrey Dahmer « le cannibale de Milwaukie » ou Andréi Chikatilo « le monstre de Rostov » par exemple (plus d’infos sur la question).

Pourtant il existe un pays dans lequel le cannibalisme fut il y a moins de cinquante ans non seulement « autorisé », mais encouragé par l’appareil d’État : il s’agit de la Chine des années 60. La plupart des cas de cannibalisme recensés le furent pendant la période de la Révolution culturelle, non pas à cause des famines poussant la population à la dernière extrémité, mais bien dans le but idéologique de « manger le bourgeois ».

La Révolution culturelle commence en 1966. Son but : éradiquer les traditions culturelles chinoises. Il faut « détruire les vieilles idées, la vieille culture, les vieilles coutumes et les vieilles habitudes des classes exploiteuses » (maréchal Lin Biao).

Le 8 août 1966 le Parti communiste chinois adopte une résolution en 16 points pour détailler le projet : « La grande révolution culturelle prolétarienne vise à liquider l’idéologie bourgeoise, à implanter l’idéologie prolétarienne, à transformer l’homme dans ce qu’il a de plus profond, à réaliser sa révolution idéologique, à extirper les racines du révisionnisme, à consolider et à développer le système socialiste. Nous devons abattre les responsables du Parti engagés dans la voie capitaliste. Nous devons abattre les sommités académiques réactionnaires de la bourgeoisie et tous les “monarchistes” bourgeois. Nous devons nous opposer à tous les actes de répression contre la révolution. Nous devons liquider tous les génies malfaisants. Nous devons extirper énergiquement la pensée, la culture, les mœurs et coutumes anciennes de toutes les classes exploiteuses. Nous devons réformer toutes les parties de la superstructure qui ne correspondent pas à la base économique du socialisme. Nous devons purger la terre de toute la vermine et balayer tous les obstacles ! » (communisme-bolchevisme.net, page 26)

Résultat : confiscations de logements, destruction du patrimoine culturel et des édifices religieux, exécutions en masse et déportation dans des camps de travail des « contre-révolutionnaires », rééducation des « intellectuels » (pas au sens français contemporain mais au sens de toute personne qui travaille dans un domaine intellectuel – cela inclut donc les instituteurs ou les petits employés un peu éduqués) par le travail manuel. Bien que la Révolution culturelle soit la période la moins meurtrière de la Chine maoïste, elle se solda tout de même en deux ans (1966-1968) par un bilan de un million de morts.

« A côté des horreurs quasi astronomiques de la réforme agraire et du Grand Bond en avant, les quelques un million de morts (…) pourraient presque sembler modestes. Si, plus que tout autre épisode de l’histoire contemporaine de la Chine, elle frappa le monde entier et reste dans les mémoires, ce fut par le radicalisme extrême de son discours et de quelques-uns de ses actes » (Livre noir du communisme) Nous allons le voir.

« La lutte que nous menons contre eux ne peut donc être, elle aussi, qu’une lutte à mort, nos rapports avec eux ne sont en aucune façon des rapports d’égalité, c’est l’oppression d’une classe par une autre, c’est-à-dire la dictature du prolétariat sur la bourgeoisie ; dans ces rapports, il ne saurait y avoir place pour autre chose, ni égalité, ni coexistence pacifique entre classes exploitées et classes exploiteuses, ni rien de ce qui se nomme humanité, justice ou vertu. » (circulaire du parti communiste chinois, 16 mai 1966)

Cette lutte à mort « sans humanité, justice ou vertu » va justifier des campagnes de cannibalisme de masse dans les provinces chinoises.

L’écrivain Zheng Yi va raconter dans son ouvrage « Stèles rouges : du totalitarisme au cannibalisme » (éd. Bleu de Chine 1999) l’enquête qu’il a menée à ce sujet dans la province de Guangzi. Il recensera environ 10.000 cas sur cette seule région.

Morceaux choisis (si l’on peut dire…)

Après avoir obligé leur professeur à une séance de pidou (autocritique) musclée et l’avoir battu à mort : « Quelques élèves les escortaient fusils en main, le gros de la troupe suivait au loin… …Fu Bingkun (élève de deuxième année du second cycle) jeta un couteau de cuisine à côté du corps en disant : “Espions, coupez dans la chair ! Mangeons-en cette nuit ! …N’abîmez pas l’intestin en découpant ! Si vous le faites, je vous précipite avec dans le fleuve ! Je veux seulement le cœur et le foie.” Nous, les quatre membres de la “clique noire”, nous nous agenouillâmes sur le sol et quelqu’un me fourra d’abord le couteau dans la main. Je tenais le couteau. Ma main n’arrêtait pas de trembler. Il n’y avait rien à faire : je n’arrivais pas à passera l’action ; je ne pouvais pas commencer à trancher. Tout en m’insultant, les élèves donnèrent le couteau à Tan Chineng. A la lumière d’une lampe de poche, celui-ci se mit à l’œuvre, serrant les dents. (S’il ne s’était pas exécuté, les élèves nous auraient sans doute vraiment liquidés, nous aussi ! Ils avaient l’air prêts à en découdre). Après le cœur et le foie, ce fut au tour de la chair des cuisses d’être découpée. Certains en remplissaient des sacs en plastique, d’autres repartaient, des morceaux de viande dégoulinante de sang accrochés aux longs canons de leurs fusils. Par la suite, l’enquête établit qu’ils avaient procédé à la cuisson en trois lieux différents :

– dans la grande cuisine, on avait crié à Zhang Gongyou (une femme) d’ouvrir la porte. Une fois cuite, soixante-dix à quatre-vingt élèves mangèrent de la viande humaine ;

– dans le dortoir du responsable adjoint du comité révolutionnaire, Huang Yuanlou, où l’on utilisa des marmites pour la cuisson. Lui-même n’y goûta pas, mais quatre élèves en mangèrent ;

– sous l’auvent de la galerie, devant les salles des classes 31 et 32.

La chair une fois complètement enlevée, le squelette de Wu Shufang fut alors jeté dans le fleuve… Au moment du “règlement des problèmes laissés par la Révolution culturelle”, le responsable adjoint du comité révolutionnaire à l’école secondaire de Wuxuan fut exclu du Parti pour cannibalisme, mais il affirma encore avec assurance : “Cette chair humaine, c’était de la chair de propriétaire foncier ! C’était de la chair d’espion qu’on a mangée !”

Au fil de l’ouvrage, Zheng Yi recense un grand nombre de témoignages, tous plus atroces les uns que les autres.

Si le responsable du Parti cité précédemment fut exclu du PCC, ce fut non pas en raison de ses actes de cannibalisme (l’enquête montre que ces crimes étaient tolérés à l’époque) mais parce que à partir de 1968, les différentes factions des gardes rouges opérèrent entre elles des règlements de compte.

Zheng Yi, pseudonyme de Zheng Guangzhao, est un écrivain chinois né en 1947

Au moment où le livre fut publié en Chine en 1986 (son auteur dut s’exiler suite à son implication dans le mouvement de 1989), beaucoup de responsables de l’époque étaient encore en poste. Zheng Yi parle de véritables « campagnes » de cannibalisme dans la ville de Wuxuan. Les gens sont découpés alors qu’ils sont encore vivants. On assiste à des « repas communautaires cannibales » : « Le 10 juillet 1968, dans la région de Sanli, devant l’entrée du canton de Shangjiang, se tint une grande séance de pidou, au cours de laquelle furent tués à coups de bâton Liao Tianlong, Liao Jinfu, Zhong Zhenquan et Zhong Shaoting. La chair des quatre corps fut découpée puis transportée jusqu’aux cuisines de la brigade, où on la fît cuire dans deux grandes marmites. Vingt à trente personnes en mangèrent. Au vu et au su de tous, on avait donc osé faire cuire de la chair humaine aux sièges même des gouvernements de niveau cantonal et régional, puis organiser sur place un repas communautaire ».

Sans détailler plus avant le catalogue des horreurs (les lecteurs intéressés peuvent se rapporter soit à l’ouvrage, soit aux larges extraits disponibles sur internet), l’auteur s’interroge sur la barbarie intrinsèque du totalitarisme communisme. « En principe, après avoir commis un crime, on est en proie au remord. Comment se fait-il que de la terre de Wuxuan seule la haine pousse ? Pourquoi cette haine implacable ? Pourquoi une haine si profonde qu’elle ne s’éteigne même pas après avoir mis à mort et dévoré des hommes ? »

A méditer à l’heure où l’extrême gauche française d’Alain Badiou à Jean-Luc Mélenchon, n’a toujours pas fait son autocritique sur les crimes abjects du maoïsme…

Source:Spoutnik, pour Novopress

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