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Cardet -L’effroyable imposture du rap

Le rap, la drogue dure qui rend sourd.

Que l’on apprécie ou que l’on déteste ce courant musical, le rap marque incontestablement une étape importante de l’histoire de la musique contemporaine. Mais, au-delà des clichés plaqués et véhiculés par les médias, quelles sont les origines du rap ? Sont-elles l’expression d’un mouvement spontané et sincère ou bien ont-elles été détournées et pour quelles raisons ? Avec quels objectifs et au profit de qui ou de quoi ?

Le livre de Cardet, grand consommateur de rap devant l’Eternel, apporte des réponses précises et sans détour à toutes ces questions en retraçant, tel un historien, la genèse du phénomène depuis la mythique Marche de Washington en 1963 (discours de Luther King devant 300 000 personnes) jusqu’aux Jay-Z, Puff Daddy et autres 50 Cent ou Eminem des années 2000.

En 1966, c’est le Black power, avec l’émergence du radical Black Panther Party (BPP) de Huey Newton et Bobby Seale. Mais, les deux précités sont incarcérés et, assez vite, les militants blancs de la Nouvelle Gauche vont dessiner les contours d’un virage idéologique grâce à la figure charismatique d’Angela Davis, militante ethnique, communiste et féministe, mais surtout élève studieuse d’Herbert Marcuse. Ce dernier entend dépasser la lutte des classes et prône l’idéologie libertaire du marxisme freudien. Pour cet idéologue fumeux, la révolte doit passer par les minorités que sont les Noirs, les femmes et les étudiants gauchistes.

Lorsque Newton sort de prison, pris en main par le producteur hollywoodien libéral Bert Schneider, il prend parti pour Angela Davis et devient plus mesuré, tout en s’adonnant frénétiquement aux plaisirs marcusiens (sexe et drogue). Il prend conscience des soutiens d’Angela Davis dans la bourgeoisie blanche occidentale (Lennon, Sartre, les Stones). La révolte souhaitée en 1966 n’aura jamais lieu… Le BPP connait un schisme et cette situation est pleinement conforme aux vues de J. Edgar Hoover : favoriser l’essor d’un Black Messiah.

L’année 1971 ouvre la courte période de la Blaxploitation qui se traduit par des films comme « Sweetback » ou « Superfly » (1972). Ces films évoquent l’association de la lutte armée et de la libération par le sexe et illustrent le marxisme libertaire de Marcus. Ils ont pour vocation de séduire la communauté noire par des héros crédibles et subversifs, mais inoffensifs pour le système. Cette époque constitue l’avant-garde du rap.

Le rap naît véritablement en 1973, à New-York. Kevin Donovan, ancien chef de gang, devient Afrika Bambaataa et fonde la Zulu Nation. Son mot d’ordre est : Peace, Love, Unity and Having fun. Il s’agit d’intégrer le Noir à l’American way of life (rejoignant ainsi le souhait de Hoover). C’est l’émancipation par le divertissement et le rap est l’outil de conversion le plus efficace au matérialisme libertaire.

Le rap va s’étendre grâce à la force des réseaux de la gauche branchée new-yorkaise, mais aussi grâce à la mafia (via le Clan Genovese et Morris Levy).

En France, c’est un journaliste du magazine « Actuel » (proche des thèses de Marcus), Bernard Zekri, puis l’architecte Laurence Touitou et la photographe Sophie Bramly, qui vont importer le rap en 82-83. Les deux femmes proposent un concept d’émission à Marie-France Brière, directrice des programmes de TF1. « H.I.P-H.O.P » est né et sera présenté par Sidney Duteil, animateur sur Radio 7.

Aux Etats-Unis, le jeune Noir Russel Simmons, manage le groupe de rap Run DMC. Il comprend que la forme du rap est plus importante que le fond. C’est lui qui sera à l’origine des sourcils froncés, des grosses chaînes en or, des vestes et pantalons en cuir noir, des baskets Adidas sans lacets faisant référence aux prisonniers noirs américains… Un look qui aura l’avantage de fasciner les kids blancs et de caresser dans le sens du poil les frappes des ghettos afro-américains.

Simmons veut rendre le son de Run DMC plus accessible et il lui faut donc absolument passer sur MTV. Il rencontre Rick Rubin, propriétaire d’un petit label, Def Jam. Sous l’influence de Rubin, le single « Rock Box » est le premier clip de rap à passer sur MTV et le premier album de Run DMC devient disque d’or. Le rap est définitivement ancré dans l’industrie du divertissement. La séduction d’un public noir et du grand public blanc en singeant une black rebelle attitude tout en prônant un discours hédonisto-révolutionnaire a porté ses fruits !

Mais le rap doit beaucoup à son plus grand théoricien, qui rejoint Def Jam : Lyor Cohen. C’est lui qui, appliquant ses idées libérales, est à l’origine du sponsoring par Adidas du groupe Run DMC. Lyor Cohen sera le premier à comprendre que le rap pouvait être un sensationnel vecteur publicitaire pour vendre autre chose que des disques ! C’est lui également qui incitera le groupe Public Enemy à se lâcher : plus le discours est authentiquement contestataire, plus le public y adhère et donc plus il achète de disques. CQFD.

Il y aura parfois quelques couacs dans cette imposture, comme lorsque Richard Griff (alias Professor Griff), porte-parle de Public Enemy, se hasardera à des déclarations antisémites. Il sera lâché par les autres membres du groupe, lequel ira se recueillir, à l’initiative de Lyor Cohen, dans un musée consacré à l’Holocauste.

Le bilan de cette période est déjà impressionnant : Newton mourra seul en 1989, assassiné, Angela Davis fait des conférences grassement rémunérées à travers le monde, Rubin est devenu un businessman républicain…

L’étape suivant intervient au milieu des années 80 : la conversion des esprits au néolibéralisme. C’est à cette période que surgissent Ice Cube (qui a fait des études supérieurs de commerce), Dr.Dre, Eazy-E et Jerry Heller, ancien manager d’Elton John aux Etats-Unis. Eazy-E et Heller vont s’évertuer à gangstériser à outrance le rap, avec une sur-exagération du sexe et de la violence. Avec leur groupe N.W.A (Niggaze Wit Attitudes), le gangsta rap, matérialisation de la sauvagerie libérale, est né.

En 1991, Dr.Dre, âme véritable du groupe N.W.A., rejoint Jimmy Iovine, ancien producteur de U2. Avec Suge Knight, un authentique voyou, ils fondent le label Death Row Records. Il y aura un différend entre Knight-Dr.Dre d’une part et Heller-Eazy-E d’autre part, Knight faisant appel à des acolytes musclés, Heller à la LDJ (Ligue de défense juive). Quant à Eazy-E, il bénéficie d’autres formes de soutien, depuis sa participation au dîner annuel des donateurs du… Parti républicain ! Nouvelle illustration que le gangsta rap, anesthésiant de colère et ultralibéral, sert bien les intérêts du système.

En 1993, alors que Public Enemy a disparu de la circulation, Steve Rifkind, imitant Lyor Cohen, va révolutionner le rap, en conceptualisant notamment le « street marketing » utilisant l’affichage massif d’autocollants dans les lieux publics. Dans le même temps, Clive Davis, producteur de la chanteuse Whitney Houston, va s’associer avec un jeune ambitieux : Puff Daddy (alias Sean Combs). Leur label Bad Boys Records va produire l’album de Notorious B.I.G (alias Christopher Wallace) qui devient quadruple disque de platine en 1994.

En 1995, Suge Knight signe la star Tupac Shakur, jusqu’alors incarcéré pour agression sexuelle. La situation devient vite explosive entre Tupac – lequel vendra neuf millions d’albums – et Notorious B.I.G. Homme de tous les excès, Tupac sera assassiné en 1996. Notorious B.I.G le suivra un an plus tard… Son album posthume sera dix fois disque de platine !

La diffusion du rap doit énormément aux radios et particulièrement à celles du groupe Emmis Broadcasting de Jeffrey Smulyan, ami intime de… Bill Clinton. Le marché des radios se libéralisant, Smulyan va entrer dans la multinationale Clear Channel Communications Inc. d’un certain… Mitt Romney ! D’achat de radio en achat de radio, le rap devient en 1996 la musique numéro 1 de l’industrie du divertissement.

A partir de 1996, l’ancien dealer Jay-Z se partagera le gâteau du rap avec Puff Daddy, Eminem et 50 Cent (ces deux derniers étant produits par Dr Dre et Iovine). Quant à Lyor Cohen, il deviendra en 2005, patron du Warner Music Group de son ami Edgar Bronfman. Jay-Z rejoindra la multinationale Clear Channel de Mitt Romney, futur candidat républicain à la Présidence américaine, en 2008…

Le rap français n’a donc rien inventé… En guise d’exemple, le groupe NTM sera managé par Franck Chevalier, attaché de presse du couturier Jean-Paul Gaultier. Et le mannequin de chez Gaultier, Stéphane Sednaoui, réalisera le clip de NTM « Le monde demain ».

Le rap, musique de l’instinct, de la réaction. Mais aussi et surtout, vecteur le plus à même pour véhiculer un message publicitaire dont l’impact émotionnel sera toujours plus efficace qu’une analyse raisonnée et argumentée.

Le rap, une rébellion totalement contrôlée. Une rébellion en peau de vison. Une effroyable imposture, en effet.

Un livre édifiant à bien des égards, à lire de toute urgence. Merci Cardet !

Arnaud Robert.

 

 

Détails sur le produit

 

  • Auteur: Cardet
  • Broché: 200 pages
  • Editeur : BLANCHE (21 février 2013)
  • Collection : Kontre-kulture
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2846283230
  • ISBN-13: 978-2846283236
  • Dimensions du produit: 19,8 x 12 x 1,8 cm
  • Prix : 15€

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