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Critique Cinéma : Imitation Game, de Morten Tyldum

La prestation des acteurs se révèle de très bonne facture.

 

« Je suis sûr que Turing cache quelque chose. »

Telle est la réplique qui précède le générique d’ouverture du film, prononcée par l’inspecteur Nock à son collègue policier. D’emblée sont ainsi posés les enjeux d’Imitation Game : découvrir le secret que cache Alan Turing.

Oui, mais duquel parle-t-on ? De son rôle pendant la guerre au service du MI6, ou bien de son homosexualité, alors pénalement répréhensible sous l’ère Churchill ?

Assurément, le réalisateur Morten Tyldum joue de l’équivoque et n’affiche par là aucune pudeur à mettre ces deux sujets sur un pied d’égalité : d’un côté le travail consciencieux de décryptage du code Enigma par le jeune mathématicien, qui permit d’anticiper les attaques de l’armée allemande, de nous faire gagner deux ans de guerre, et de sauver près de 14 millions de vies humaines ; de l’autre, les affres sentimentales d’un homosexuel mal dans sa peau, que condamne si durement son époque.

Tout au long du récit, cette alternance entre la petite histoire et la grande semble un moyen désespéré pour le réalisateur de corréler – somme toute artificiellement – deux sujets que rien n’accorde naturellement. Un peu à l’image de notre ministre Najat Vallaud-Belkacem qui, sous la pression de groupuscules ultralibéraux LGBT, souhaitait en 2012 que soient mentionnées dans les programmes scolaires les préférences sexuelles de Rimbaud et Verlaine, celles-ci « pouvant expliquer une grande partie de leur œuvre »… De là à dire que le génie d’un individu quel qu’il soit découle de sa sexualité, il n’y a qu’un pas, que Morten Tyldum, contrairement à notre amie Belkacem, ne franchit jamais. Ouf, c’est déjà ça !

Pour autant, tout est mis sur le même plan, les éléments s’agencent au fil du récit de manière à ce que le spectateur confonde sans arrêt, par effet de superpositions, les deux sujets – c’est notamment le but de la scène d’interrogatoire –, comme si Turing était incapable de laisser sa sexualité au vestiaire au moment de travailler à la résolution de la guerre, et que celle-ci devait l’accompagner dans chacune de ses entreprises !

En définitive, les priorités du cinéaste ne sont pas celles auxquelles on pourrait s’attendre puisqu’il va friser l’indécence en débutant l’épilogue de son film non pas par le bilan des recherches de Turing et leurs conséquences directes sur le conflit mondial, mais par le sort peu enviable qui lui est personnellement réservé après-guerre, à savoir la castration chimique encadrée par la justice !

Il résulte, de cette confusion permanente entre ses priorités, une incapacité patente du réalisateur à aborder efficacement les deux sujets, le récit d’espionnage péchant par ses explications brouillonnes et par des retombées militaires que l’on ne ressent jamais véritablement ; et le récit intimiste souffrant d’allers-retours peu convaincants – finalement très « cosmétiques » – sur l’enfance de Turing. Peut-être ce récit intimiste aurait-il gagné à un traitement plus en retrait, sous forme d’allusions ?

Malgré ces problèmes de déséquilibre, la prestation des acteurs se révèle de très bonne facture, mentions spéciales à Benedict Cumberbatch, à Keira Knightley – pour le moins émouvante en tant qu’épouse-alibi de Turing – et à Allen Leech, dont les convictions politiques du personnage, quelque part, ne sont pas sans rappeler celles de son rôle dans Downton Abbey. La bande originale, à défaut d’être si originale que ça, a le mérite de rester en tête, et le film nous permet d’apprendre un peu d’histoire.

Que demander de plus ?

2 étoiles sur 5.

8.2/10

 

Pierre Marcellesi
Critique de cinéma
Source// Boulevard Votaire

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